L’Etat islamique d’Afghanistan ou l’Emirat islamique d’Afghanistan ?
(Dossier mis à jour en novembre 1997 : les sources )
Depuis sa création comme Etat en 1747, l’Aghanistan, enjeu et objet de convoitise des puissances extérieures, a toujours été considéré comme une « zone tampon » entre les empires (russe, britannique) et un carrefour stratégique pour les acteurs régionaux sans cesse renouvelés. Cette apparente neutralité garantie par les voisins n’empêcha jamais les luttes internes entre clans d’ethnies différentes plus ou moins soutenus par les grandes puissances. 
 
Superficie : 647.500 km²
Population en 1996 : estimée à 23 millions d’habitants (dont environ 1,5 million réfugiés au Palistan, 1 million en Iran, 150 000 en Russie et 50 000 au Kirghistan) 
Frontières  avec l’Iran, le Turkménistan,  l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, et  la Chine et le Pakistan

Sa situation géographique en Asie centrale, où émergent de nouveaux pays indépendants et musulmans, fait de l’Afghanistan un enjeu géopolitique capitale qui va conduire les Etats-Unis et la Russie à intervenir directement. Attisé par les rivalités ethniques et religieuses, le conflit afghan se complique avec les intérêts économiques étrangers, une certaine similitude avec l’ancienne « route de la soie ». Le pays, est en guerre depuis bientôt 18 ans, et les trahisons soudaines, ralliements imprévus et retournements d’alliances, illustrent  parfaitement la situation politico-militaire actuelle. Il est l’un des pays les plus pauvres du monde et constitue le plus vaste chantier de mines antipersonnel de  la planète. 

1) La situation politique

Aujourd’hui, les taliban, d’ethnie pachtoune, contrôlent les deux tiers du pays et ont pratiquement réussi en deux ans, à  réunifier l’Afghanistan et à le « pacifier » en installant un régime islamique pur et dur,  sur la base d’une interprétation très stricte de la « Charia » (loi coranique) : discrimination systématique à l’encontre des femmes afghanes, violations des droits de l’homme, endoctrinement forcé, racisme ethnique. 
Les forces taliban sont fortement suspectées d’être armées et formées grâce aux pétro-dollars saoudiens, et le savoir-faire des militaires et services secrets pakistanais (ISI ) sous l’oeil attentif des agences américaines. 

Trois provinces du nord résistent toujours et  le grand jeu  afghan se résume à l’affrontement entre les milices taliban et les forces de l’Alliance du Nord, de nouveau coalisées et dirigées par l’ancien ministre de la défense, le commandant Ahmed Shah Massoud (tadjik), et du général Rachid Dostom (ouzbek). 

L’Alliance des forces anti-taliban
regoupe 3 factions : celle tadjike du commandant Massoud, ouzbèke du général Dostom et hazara de Khalili. 
Ce rassemblement de forces anti-taliban n’a pas encore trouvé la  cohésion politique et tactique  leur permettant de  lutter efficacement et durablement contre le mouvement des étudiants qui arrivent à rallier des groupes armés sur leur passage. 
Les chefs ouzbèques de l’opposition afghane Abdul Malik et Abdul Rachid Dostom n’en finissent pas de régler leurs différends. C’est une alliance hétérogène et contre nature, composée d’ex-communistes, d’anciens moudjahidins, de combattants chiites pro-iraniens, d’anciennes milices ouzbèkes pro-soviétiques. Malgré la  complexité de cette mosaïque ethnique et l’appétit de pouvoir de nombreux chefs locaux,  il semblerait qu’ils  mettent de côté leurs hostilités ethniques pour rechercher une stratégie militaire commune  face aux taliban. 
 

Quatre grandes ethnies 
Les pachtouns (38 % de la population), n’ont pas de représentation politique unique et constituent la base essentielle du Hezb-i-Islami, organisation islamiste intégriste de M. Gulbuddin Hekmatyar et des taliban dont le chef du gouvernement est le mollah Mohammad Rabbani. Ceux-ci sont des  fondamentalistes sunnites, bienvus de l’Arabie saoudite, alliés du Pakistan. 
Les tadjiks (25 %), persanophones mais sunnites,  se reconnaissent dans le Jamiat-i-Islami du président Burhanuddin Rabbani réfugié en Iran, dont l’homme fort est le général Massoud, héros de guerre antisoviétique. 
Les hazaras (19 %) sont chiites et sont fédéres par le Hezb-i-Wahdat, une coalition soutenue par l’Iran, dont le leader est Karim Khalili. 
Les ouzbeks (12 %). Une partie du Jombesh-i-Milli-Islami suive le général Dostum et l’autre, le général Abdul Malik qui s’était rallié aux taliban avant de se retourner contre ceux-ci.  Les ouzbeks  bénéficient du soutien de la Russie et de l’Ouzbékistan. 
Les autres minorités : Baloutches, Nouristanis, Turkmènes, ... 

2) L’économie afghane 

Agriculture :  elle représente l’essentiel de la production mais reste limitée en raison de l’intensification de la guerre civile. Les cultures de blé et de riz ne peuvent assurer l’autosuffisance alimentaire. L’ONU a exprimé ses craintes sur les risques de famine pour au moins 160 000 personnes si l’aide alimentaire n’arrivait pas aux vrais destinataires. 

Industrie: la plus importante industrie en Afghanistan est celle du coton. Les autres industries présentes en Afghanistan sont le ciment, les engrais, les meubles, les chaussures, la confection manuelle de tapis. 

Mines et énergie: l'Afghanistan possède des ressources importantes en charbon, chrome, minerai de fer, argent, or, cuivre et lapis lazuli, mais les problèmes d'accès et de transport soulèvent des doutes quant à la viabilité de leur exploitation. La seule ressource réellement exploitée est le gaz naturel sachant que 97 % de la production est exporté vers les pays de la CEI à travers 180 km de pipeline, ce qui représente environ 25% du revenu des exportations. 

Infrastructures : les moyens de communication sont très insuffisants et il n’y a pas de lignes ferroviaires. 

Les principaux indicateurs économiques 
 
1995 
1996
PIB en milliards de $
 1,2 (e) 
1,3 (e) 
PIB par tête en $ 
500 
600 
Croissance économique  (%)
 6 (e)
6 (e) 
Inflation annuelle (en %) 
14 (e)
14 (e) 
Source : The Military Balance octobre 1997 (The International Institute for Strategic Studies, UK) 

L’aide humanitaire et internationale 

L’Union européenne est de loin le plus grand pourvoyeur de fonds de l’Afghanistan. En 1997, elle a accordé au total 25 millions d’écus à l’Afghanistan. L’Union européenne (et les Etats membres au niveau bilatéral) avait octroyé une aide de 200 millions d’écus au pays au cours des deux années précédentes. 

3) Les enjeux économiques régionaux 

Depuis l’effondrement de l’URSS, l’Asie centrale est devenue une région d’importance stratégique et économique  pour toutes les puissances. Elle représente de formidables marchés et plus encore des richesses en gaz, pétrole et minéraux parmi les les plus importantes du monde. Au nord de l’Afghanistan, en Ouzbékistan, se trouverait la plus importante mine d’or du monde - sa production est estimée à 50 tonnes de minerai par an. Au nord-est, le Tadjikistan aurait le plus vaste gisement d’argent de la planète. Le sous-sol des pays riverains de la Caspienne et de la mer Noire renfermeraient plus du quart des réserves connues de pétrole dans le monde sans parler du gaz du Turkménistan. 

Le Croissant d’or  (Pakistan, Afghanistan, Iran) est devenu le premier centre de production d’opium du monde. L’opium afghan qui affluait auparavant dans les laboratoires de Turquie par l’Iran, commence à explorer les routes du nord, celles des Républiques d’Asie centrale indépendantes depuis 1991, qui ont leur propre potentiel de culture  de pavot. La transformation de l’opium en héroïne rapporterait plus de 2 milliards de dollars par an et près des deux tiers (3500 tonnes en 1994, 2700 tonnes en 1995) des ventes se feraient sur les marchés européens (80 % de l’héroïne saisie en Europe provient d’Afghanistan). 
Le programme de contrôle de la drogue des Nations unies  (UNDCP) a consacré 16,4 millions de dollars à l’éradication de la production d’opium en Afghanistan. Malgré les mesures d’interdiction de la culture, du commerce et de l’exportation de l’opium, la production de stupéfiants a augmenté de 20% depuis 1996 dans les régions contrôlées par les taliban. 

4) Le rôle joué par les puissances étrangères 

Le soutien du Pakistan et des Etats-Unis aux taliban 

Le Pakistan a pour objectif historique d’empêcher l’installation à Kaboul d’un pouvoir qui risque de prendre le Pakistan à revers par une alliance avec l’Inde. Mais c’est aussi et depuis des siècles, le commerce pakistanais qui dépend de la route vers l’Asie centrale. Pour s’imposer et maintenir l’ouverture de cette voie stratégique vers les richesses de cette région, le Pakistan tisse, grâce à des accords de coopération économique, sa toile avec les Républiques d’Asie centrale (accord sur le gaz turkmène, réseau téléphonique par fibre optique via l’Afghanistan, débouché d’exportation martime par Karachi via un corridor de transit terrestre afghan ...). 

En juin 1995, les gouvernements du Pakistan et du  Turkménistan, la compagnie américaine Unocal et la firme saoudienne Delta Oil négocient le projet de construction d’un gazoduc de 1400 km qui acheminera  les ressources turkmènes  à travers l’Afghanistan jusqu’au Pakistan puis vers l’océan indien. L’exploitation des matières premières a besoin d’un état de non-guerre en Afghanistan. Il est donc essentiel de s’assurer le contrôle des territoires traversés par le futur gazoduc, c’est à dire les régions du centre et de l’ouest. 

Pour cela, il fallait donc créer un mouvement national cohérent fort  au nom d’un islam rassembleur qui permettrait de "pacifier" suffisamment l’Afghanistan pour que les grandes stratégies commerciales puissent se mettre en place. L’émergence de cette nouvelle force politico-militaire, c’est le mouvement des taliban, crée en septembre 1994 et sachant qu’il  y a  environ 1 500 000  réfugiés afghans au Pakistan. 

Le Pakistan est, avec  l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis, l’un des trois pays reconnaissant la légitimité du régime islamique des taliban.  De riches familles saoudiennes comme les  Ben Laden, classées parmi les plus riches du monde, finance le régime des taliban. 

Les Etats-Unis ont  rectifié depuis peu leur politique envers le régime des taliban. L’administration américaine  affiche depuis août 1997, une neutralité pleine et entière à l’égard de l’Afghanistan. Le régime instauré par les taliban a horrifié le monde entier et notamment la presse américaine. De plus la coalition russo-irano-indienne pourrait se révéler redoutable. Rappelons que les Etats-Unis poursuivaient des objectifs stratégiques, militaires et économiques en afghanistan : 
- empêcher le régime iranien d’étendre son influence au-delà de ses frontières en s’appuyant sur la communauté pachtoune établie à la frontière pakisto-afghane ; 
- arrêter l’expansionisme soviétique en armant les maquis afghans. Après le démembrement de l’Union soviétique, il fallait éviter l’émergence (ou la reconstitution) d’une puissance majeure à l’Est ; 
- ouvrir la voie des républiques d’Asie centrale centrale aux intérêts américains notamment dans les richesses de leur sous-sol et fournir des bases arrières stratégiques dans la région. 

L’aide de la Russie et le soutien de l’Inde à l’Alliance du Nord 
Les  russes toujours influents dans la région après une guerre qui a duré 10 ans  avec l’Afghanistan,  sont parvenus à convaincre le gouvernement du Tadjikistan  de se rapprocher des tadjiks afghans du commandant Massoud qui fut naguère leur plus impitoyable adversaire. De même pour les ouzbeks afghans, l’Ouzbékistan laisse passer les armes et les munitions russes. Les russes et les ex-républiques soviétiques ne veulent pas d’un affrontement entre communistes et islamistes, ni de l’arrivée au pouvoir des intégristes qui menaceraient la stabilité de la région.  Pour Moscou, confrontée aux pressions « expansionnistes » de l’OTAN, la région constitue à la fois une porte d’entrée au Proche-Orient et une protection contre la propagation de l’influence occidentale ou turque vers ses frontières méridionales. Outre la Russie, l’Inde, se voyant menacée dans l’affaire afghane par le Pakistan, collabore avec les russes pour renforcer la coalition anti-taliban. 

La politique régionale de l’Iran vise à créer une entente avec ses voisins et, à pénétrer les marchés de l’Asie centrale au delà des discours idéologiques. L’Iran chiite accuse les taliban sunnites (intégristes au pouvoir à Kaboul) de salir le nom de l’islam par leur extrémisme et refusent de reconnaître le gouvernement en poste dans la capitale afghane. Téhéran continue de voir dans l’ancien président afghan, Burhanuddin Rabbani, destitué par les taliban, le chef de l’Etat légitime de l’Afghanistan. L’Iran accueille environ 1 million de réfugiés afghans.