CHINE : L'IRRESISTIBLE URBANISATION
Pierre Gentelle, Dir. de recherche au CNRS
La Documentation Française, Problèmes politiques et sociaux N° 682, 12/06/1992
Notes R. Perelman

Introduction
 difficultés des définitions
le bourg, facteur de modernisation
comment urbaniser les régions attardées de Chine ?


 

INTRODUCTION
P. Gentelle

1- Une constatation : la contradiction dans les chiffres officiels : au 1/1/86 : 37,7% de la population chinoise (382 Mh) disposaient d'un "carnet d'enregistrement urbain" (contre 19% en 1950), dans les 381 villes officiellement reconnues comme telles, qui affichaient pour leur part une population non-agricole de 130 Mh à la même date. 

2- une fluctuation inhabituelle des taux d'urbanisation 
- de 1950 à1959 : +7 à10 %/an;
- 196 et 1961 : valeurs négatives;
- de 1966 à 1976 : taux inférieur à celui de la population totale (2%) ; Révolution Culturelle;
- à partir de 1979 , surtout entre 1982 et 1985 : retour aux valeurs des années 50.

3- depuis 1982 : disparition des communes populaires à la campagne : relâchement des contrôles d'accès aux villes. Déclarations gouvernementales demandant que 300 M de paysans quittent la terre entre 1980 et 2000, sans pour autant que les règles définissant l'accroissement et la taille des villes soient abrogées. 

4- A partir de 1980, les médias évoquent la nécessité de développer les petits bourgs à l'interface de la ville et de la campagne. D'où l'apparition d'une population de paysans qui, demeurant liés aux parents restés aux champs (le moule asiatique de la famille patrilinéaire dans lequel se développe la vie du couple) acquièrent la qualité de "résidents urbains temporaires", à condition de renoncer à demander le statut de "citadin", qui implique le droit garanti à des rations journalières de céréales, le droit à un emploi et à un logement (fourni généralement par l'entreprise en même temps que l'emploi). 

4- Absence de politique d'aménagement du territoire dans les années 80, en raison du démantèlement des organismes centraux d'Etat chargés de veiller au développement des villes. Les réflexions des dirigeants en matière de politique urbaine entre 1981 et 1991 n'ont pas dépassé le niveau des intentions, bien que la rénovation des centres urbains ait été un thème majeur des interventions de la puissance publique. 

5- l'évaluation des terrains urbains est apparue comme une “première”, l'habitude ayant été prise de considérer que le sol ne valait rien, puisque propriété de l'Etat (“au nom du Peuple”). Les documents d'urbanisme existent (urbanistes et bureau d'urbanisation dans chaque ville) mais ne sont pas publics. La cadastration du pays reste à faire. Les statistiques urbaines sont difficiles d'accès, souvent peu fiables et fragmentaires pour celles qui le sont. La définition même de la ville pose problème à qui n'appartient pas à l'administration chinoise, restée elle-même dans l'ignorance des études d'urbanisme menées dans les pays à économie de marché et qui est impuissante à trouver les nouveaux modes opératoires pour maîtriser une croissance urbaine rapide et généralisée.
 

DES DIFFICULTÉS DE DÉFINITION
FANG Lei, LIU Hong : "études préliminaires des problèmes de la classification urbaine et du développement urbain"
(Acta Géographica Sinica, Pékin, 43, 1, 1988)

Le Congrès national sur la planification urbaine reconduit le système de planification en vigueur depuis les années 50 : "Très Grandes Villes" de 1 Mh et +, "Grandes Villes", de 500000 à 1Mh, "Villes Moyennes" de 200000 à 500000 et "Petites Villes", moins de 200000.

En 1984, le sociologue Fei Xiaotong lance l'idée du développement des "petits bourgs". En 1986, des fonctionnaires du Bureau pour l'aménagement du territoire de la Délégation de planification nationale proposent la révision de la "table de classification" urbaine : Les TGV : + de 4Mh, les GV, de 1 à 4, le VM de 300000 à 1M, les PV - de 300000. 

"L'examen d'une question dans son contexte est un concept fondamental de l'épistémologie marxiste. La Ville doit être envisagée comme un système socio-économique ouvert, à croissnace continue. De cette manière, on peut appréhender les villes comme des entités dynamiques. Leur hiérarchisation doit nous permettre de les comprendre ; c'est pourquoi elle doit être modifiée conformément aux variations des processus socio-économiques de développement."

En 1953, 8 villes de plus d'un Mh : Pékin, Wuhan, Harbin, Shanghaï, Canton, Tianjin, Sheniang, Chongqing (population cumulée : 16,138 Mh, en 1985 : 29,297). 

Les bases à considérer pourraient être les suivantes :
- TGV : centre social, culturel et économique desservant plusieurs provinces, sphère d'influence : 1Mkm2, 100 Mh au moins, population urb concentrée : 2,5 Mh au moins;
- GV, généralement ville centrale d'une province, 150000km2, 30Mh, population urb concentrée : 1Mh au moins;
-VM , généralement centre industriel, entre 300000 et 1Mh;
- Le chiffre de 100000 constitue la limite entre les PV et les bourgs;
- une ville de 100000 dessert une région comprenant 3 à 5 districts.

Il faut encourager le développement urbain des GV et VM à "cause de leurs résultats économiques nettement supérieurs". La production industrielle et les impôts municipaux constituent les sources principales du financement urbain.

Sur une population active de 500 M, 310 M (62%) travaillent encore dans l'agriculture. Ce taux va baisser rapidemment.

Propositions : 

- Les Villes de 1er (Pékin, Shanghaï, Canton) et 2ème rang ainsi que quatre territoires concentrés sur la région littorale centrale : y développer les industries tertiaires et “high tech”;
- Développer les GV de manière prudente, pour contrôler strictement l'expansion des vieux noyaux urbains et faciliter le développement de villes multifonctionnelles;
- développer des villes-clés de taille moyenne (300000 à 1MH) dans les zones côtières, le long du Yangze et de certaines voies ferrées;
- PV et bourgs : développer les infarstructures pour diversifier leurs fonctions;
- dans la zone centrale, fonder beaucoup de GV et VM en fonction de l'exploitation croissante des ressources énergétiques et minières et d'autres développemets économiques provinciaux;
- développement des PV et bourgs dans les banlieues, ainsi que dans les zones rurales, selon les besoins en produits agricoles et en coordination avec le développement des réseaux de transport;
- contrôle de la croissance au voisinage du cœur des GV;
- dans la zone occidentale, créer de nouvelles VM, agrandir celles qui existent notamment celles où des industries manufacturières et minières ont déjà été développées. Y développer quelques villes nouvelles servant de pôles de croissance économique et de base pour l'industrialisation du siècle prochain.

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4éme Recensements de la population . Premiers résultats, Pékin, 1990.

population totale :  1982 : 1 008 175 288 h,   1990 :1 133 682 501 h,
population urbaine :  1982 : 206 588 582 (20,6%) ;   1990 : 296 512 111 (26,2%)
 

LE BOURG, FACTEUR DE MODERNISATION
MA Rong : "Le développement des petits bourgs et la modernisation de la Chine", Sciences sociales de Chine, Pékin, 1990.

Le bourg (zhen, town, dénomination formelle : "bourg institué" jianzhi zhen) est l'unité située entre la municipalité (shi) et le village (xiangcun). En 1982, 119 de ceux-ci, avec moins de 3000 h, formaient 45% de cette catégorie, soit un total de 265. Il est placé sous la juridiction d'une ville (shi) ou d'un district (xian). Il est classé au même niveau que la commune (xiang, township). Depuis un décret d'avril 1986, le bourg peut-être transformé en municipalité quand sa population non-agricole atteint 60 000 h et que la valeur totale de sa production dépasse 200 M de renmibi. Les règles de 1963 excluaient la population agricole soumise à la juridiction d'un bourg institué de la catégorie des citadins, mais en 1982, on décide que toute la population d'un bourg serait comptée comme faisant partie de sa population. Cependant, à partir de 1984, année des mesures dites "le bourg gouverne les villages", la superficie de certains bourgs fut augmentée de manière à englober celle des villages alentours. Quand une commune, xiang, était promue au statut supérieur de bourg, zhen, tous les villageois étaient comptés comme citadins. En fonction des années, il faut donc interpréter les chiffres de la "population des bourgs". . Celle-ci s'est accrue de 72,16 Mh entre 1982 et 1984 : 91% de cet accroissement provenaient des nouveaux bourgs, tandis que 76% de l'accroissement de population, selon les anciennes définitions, était le résultat, soit d'un mouvement de population, soit de l'extension de la superficie administrative du bourg. Les modifications de celle-ci ont entraîné des changements dans les catégories statistiques comme dans les standards qualitatifs du bourg.

Le concept de "petit bourg" xiaocheng, small town, comme communauté de vie a été introduit par les sociologues. Selon Fei Xiaotong, "le petit bourg" est une entité sociale située juste au dessus de la commune rurale, xiang, Il est constitué pour l'essentiel par des personnes qui ne travaillent pas dans l'agriculture. En terme d'espace, de population, d'économie, d'environnement et d'autres facteurs encore, il se différencie des zones rurales alentour par un certain nombre de caractères. Néanmoins, il maintient en même temps des liens indispensables avec ces zones rurales."
 

COMMENT URBANISER LES RÉGIONS ATTARDÉES DE CHINE ?
SHOU Sihua, CHEN Lijuan :"Problèmes d'urbanisation dans les régions attardées de Chine", Géographie économique, Pékin, 1988.

Premier pas, industrialiser et moderniser. "Le développement des villes multifonctionnelles qui servent de centres économiques est une évolution naturelle dans le cours du développement historique et socio-économique". Le deuxième pas à faire est de ne pas mettre l'accent sur le développement des villes petites et moyennes. Les pays et les régions sous-développées ne doivent pas adopter la stratégie de dispersion de leurs villes, car celà  les conduirait à disséminer l'utilisation du peu de capitaux ou de ressources disponibles."

"A présent, la Chine se trouve essentiellement dans une phase de déruralisation, mais l'urbanisation n'en est qu'à son début."