La Chine aurait mis au point la bombe à neutrons          Le programme nucléaire chinois

Bombe à neutrons: les spécialistes s'interrogent sur les motivations de Pékin (16/7/99, AFP)
 La Chine n'a pas fait de révélation fracassante en annonçant jeudi maîtriser la technologie de la bombe à neutrons mais cette déclaration suscite des questions sur les raisons pour lesquelles Pékin discute ainsi de son programme nucléaire sur la place publique, soulignent des spécialistes américains. A première vue, le communiqué de 25.000 mots diffusé par Pékin a pour but de réfuter les accusations selon lesquelles des scientifiques chinois auraient volé des secrets nucléaires américains.

Mais la Chine a-t-elle voulu aussi mettre indirectement en garde Taïwan et les Etats-Unis ? Pékin est furieux contre le président taïwanais Lee Teng-hui, qui a réaffirmé samedi la souveraineté de Taipei et ces déclarations sur la bombe à neutrons peuvent être interprétées comme une manière de rappeler que la Chine est une puissance nucléaire qui ne doit pas être prise à la légère. Des experts américains n'excluaient pas jeudi cette hypothèse mais estimaient qu'il ne s'agissait pas du motif le plus probable.
Evan Medeiros, un spécialiste de la Chine au Monterey Institute for International Studies en Californie, soulignait que la direction
chinoise n'aurait pas pu en cinq jours seulement élaborer et approuver une déclaration publique sur la question sensible de ses
capacités nucléaires.

"Pourquoi le font-ils maintenant ?", s'est-il interrogé. "Mon idée est que c'est simplement pour répondre au rapport Cox". Dans un rapport publié en mai dernier, le représentant républicain Christopher Cox avait accusé Pékin d'avoir systématiquement
espionné l'arsenal nucléaire des Etats-Unis depuis les années 70, obtenant des informations sur la plupart des bombes atomiques
américaines, dont la bombe à neutrons.Un démenti chinois pourrait avoir pour objectif de créer un climat politique plus favorable avant le début des négociations sur une adhésion de la Chine à l'Organisation mondiale du Commerce, estime Alexander Lennon, du Centre d'études stratégiques et internationales à Washington.

Les Etats-Unis savaient depuis longtemps que la Chine développait une bombe à neutrons et connaissaient ses tentatives de
conception de têtes nucléaires plus petites pour une nouvelle génération de missiles balistiques intercontinentaux transportables par
la route. Conçue pour tuer en laissant les constructions intactes, la bombe à neutrons a déjà été testée par la Chine en 1988. Elle était à l'époque destinée à stopper une invasion de troupes soviétiques en Chine, explique M. Medeiros. Aujourd'hui, son utilité
est discutable, note-t-il.

"Les Etats-Unis ne vont pas se lancer dans une guerre terrestre contre la Chine", fait-il remarquer. Les analystes américains avaient déduit des informations obtenues sur les essais nucléaires chinois des années 1980 et 90 que Pékin s'efforçait de fabriquer des têtes nucléaires miniaturisées. Des missiles mobiles rendraient l'arsenal nucléaire chinois (estimé par la CIA à environ 20 missiles balistiques intercontinentaux capables de frapper les Etats-Unis) plus difficiles à repérer que les missiles fixes existants. Le rapport Cox avertissait que dans le cas d'un conflit régional une force de missiles balistiques intercontinentaux modernisée "constituerait une menace directe et crédible pour Etats-Unis". Cela "pourrait avoir un effet considérable sur l'équilibre des forces dans la région, en particulier en ce qui concerne Taïwan", affirmait le rapport. "Il est encourageant de voir les Chinois faire quelque peu preuve de transparence, en parlant un peu de leur programme nucléaire", déclare M. Medeiros, ajoutant que le rapport Cox avait été une "façon étrange de les encourager à le faire".

Les Etats-Unis minimisent l'annonce par Pékin de sa maîtrise de la bombe à neutrons (AP)vendredi 16 juillet 1999, 5h40
Le porte-parole de la Maison Blanche, Joe Lockhart, a minimisé, jeudi 15 juillet, l'annonce faite à Pékin selon laquelle la Chine maîtrise la technologie de la bombe à neutrons, une arme à fusion censée réduire les effets mécaniques et thermiques d'une explosion thermonucléaire pour accroître, en revanche, les conséquences dévastatrices des rayonnements neutroniques sur une population. L'information est parue discrètement dans un document de quarante pages publié par Pékin à l'occasion d'une conférence de presse destinée à réfuter les accusations américaines selon lesquelles la Chine a pillé, depuis les années 70, les secrets des Etats-Unis en matière de fabrication d'armes nucléaires.
En octobre 1964, la Chine a réalisé sa première expérimentation d'une bombe A (à fission) et, en juin 1967, a procédé à sa première expérience d'une bombe H (à fusion). Il semble, selon des analyses de source occidentale, que la première expérimentation d'une bombe à neutrons a eu lieu le 29 septembre 1988 et que, le 29 juillet 1996, il a été procédé à un tir de très faible énergie (1 kilotonne), qui suggère la maîtrise de la miniaturisation des armes nucléaires.
Depuis, la Chine a signé, le 24 septembre 1996, le traité international sur l'interdiction des essais nucléaires et a rappelé son engagement de ne pas utiliser l'arme nucléaire en premier. A Washington, M. Lockhart a déclaré que les Etats-Unis avaient une connaissance précise des efforts de la Chine pour perfectionner son arsenal de dissuasion, y compris en espionnant la technologie américaine. Ce que conteste Pékin, qui qualifie ces accusations d'espionnage de «pure calomnie». « Nous savons que les Chinois ont mené un programme de modernisation, mais la Chine, a ajouté le porte-parole américain, possède moins de deux douzaines d'armes nucléaires de longue portée. Les Etats-Unis en ont plus de 6 000. Nous ne doutons pas de la capacité de notre dissuasion à protéger nos intérêts. »
 L'annonce, par la Chine, qu'elle maîtrise la bombe à neutrons intervient alors que la tension ne cesse de croître entre Pékin et Taïwan, depuis, notamment, que le président de l'île, Lee Teng-hui, a affirmé à une radio allemande, samedi 10 juillet, que Taïpei devait entretenir « des relations d'Etat à Etat » avec la Chine. Ces propos sont considérés par Pékin comme une nouvelle impertinence du président taïwanais, qui serait en contradiction avec le principe d'« une seule Chine » matérialisant la revendication chinoise de sa souveraîneté sur l'île. Le continent et Taïpeh sont séparés depuis la défaite du régime nationaliste en 1949.

TROUPES EN ÉTAT D'ALERTE

 Selon la presse de Hongkong, les troupes chinoises, dans les régions méridionales du pays, ont été mises en état d'alerte. Les forces navales et aériennes dans le détroit de Formose seraient sur le pied de guerre. De son côté, Taïwan a mobilisé ses forces sur l'île de Quemoy, à 2 kilomètres de la côte du continent, et la Bourse de Taïpeh a baissé, vendredi, de 6,4 %, après la parution de ces informations. Si les révélations des autorités chinoises sur la bombe à neutrons n'ont guère étonné les experts militaires, il existe d'autres interprétations sur le moment choisi par Pékin pour faire son annonce. Le bombardement, par un B-2 « furtif » américain, de l'ambassade chinoise à Belgrade, pendant l'opération de l'OTAN contre la Yougoslavie, continue d'agacer la Chine, qui reçoit actuellement une délégation des Etats-Unis pour s'en expliquer. Il est probable, aussi, que Pékin tient à décourager le renforcement des liens militaires entre les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon, qui se traduit par un projet commun de défense antimissile susceptible, à terme, d'intégrer Taïwan.

La Chine reconnaît avoir mis au point la bombe à neutrons(15/7/99, AP)
En annonçant publiquement jeudi que ses scientifiques avaient mis au point leur propre bombe à neutrons, Pékin a semble-t-il cherché à discréditer un peu plus les allégations américaines selon lesquelles la Chine aurait volé aux Etats-Unis des secrets en matière d'armes nucléaires. La Chine a fait exploser sa première bombe à neutrons il y a onze ans, ce qui était presque de notoriété publique dans la communauté internationale. Mais le secret étant le maître-mot des autorités militaires chinoises, aucune annonce publique n'a apparemment été faite, ni par les médias d'Etat ni par les dirigeants chinois. Dans une allocution destinée à réfuter les accusations d'une commission du Congrès américain selon lesquelles la Chine avait dérobé une telle technologie, Zhao Qizheng, porte-parole du gouvernement, a déclaré publiquement jeudi que des scientifiques chinois avaient eux-mêmes mis au point une bombe à neutrons. Cette annonce intervient alors que des menaces d'une action militaire planent actuellement contre Taïwan, mais les dirigeants chinois n'ont pas voulu dire si les deux sujets avaient un lien. La Chine a en effet menacé d'attaquer Taïwan après que le président taïwanais Lee Teng-hui eut affirmé la semaine dernière que les deux pays avaient des relations d'''Etat à Etat'', et que Taïwan, n'était pas, comme l'affirme Pékin, une île faisant partie de son territoire.
 

La bombe à neutrons: une arme à effets collatéraux réduits(15/7/99, AFP)

La bombe à neutrons ou bombe à radiation neutronique renforcée, dont la Chine affirme détenir la technologie, est une arme anti-personnel à effets collatéraux réduits. Mise au point en 1958 par le physicien américain Samuel Cohen, elle est conçue comme arme du champ de bataille, frappant des concentrations de forces sans causer trop de dégâts aux installations.
Contrairement à l'arme nucléaire classique, ses effets de chaleur et de souffle sont réduits au profit des effets radioactifs. La bombe
à neutrons, une bombe à fusion thermonucléaire, peut produire 80% de son énergie sous forme de neutrons, tandis que la classique
bombe à hydrogène ne dégage que 15% d'émissions radioactives, dont environ 5% de rayons gamma et neutroniques. Ces derniers
sont considérés comme étant particulièrement meurtriers pour toute forme de vie. Ainsi, avec une puissance maximum de deux
kilotonnes elle pourrait produire dix fois plus de radiations qu'une arme classique de la même puissance.Tombant au milieu d'une unité de chars, elle tuerait les militaires enfermés dans les engins tout en laissant intact le matériel, les neutrons traversant les blindages. En revanche, les neutrons peuvent être arrêtés par la terre et le sable. Ainsi des abris de terre
pourraient protéger les lignes amies. D'autre part, les radiations ne sont pas dangereuses au-delà d'un rayon d'environ 1,7 km et disparaissent rapidement. La bombe à neutrons est ainsi qualifiée d'"arme propre", éliminant toute vie dans un périmètre donné sans y détruire l'environnement. Outre la Chine, les Etats-Unis, la Russie et la France, possèdent la capacité de construire des bombes à neutrons. Les Etats-Unis avaient décidé en 1981 la construction et le stockage de cette arme. La France maîtrise le procédé de fabrication depuis 1983.
 
Le programme nucléaire chinois (15/7/99, AFP)

La Chine, qui a annoncé publiquement jeudi qu'elle maitrisait la technologie de la bombe à neutrons, a procédé à 45 essais nucléaires au total depuis qu'elle s'est lancée dans un ambitieux programme nucléaire mis en place dans les années 50.

Janvier 1955 : le président Mao Tsétoung donne le coup d'envoi formel au programme nucléaire chinois confié à Qian Sanqing "le
père de la bombe atomique chinoise".

Avril 1955 : La Russie signe le premier d'une série de six accords nucléaires avec la Chine, promettant une assistance en matière
de recherche dans le domaine de l'énergie atomique et de la physique nucléaire

Mars 1956: des centaines de savants chinois reçoivent une formation à l'Institut de recherche nucléaire Dubna à Moscou, tandis que
la recherche sur les armements nucléaires devient une priorité de l'Institut de physique et d'énergie atomique à Pékin

Octobre 1957: pendant une visite de Mao à Moscou, l'Union Soviétique accepte de signer un nouveau pacte de défense prévoyant la
fourniture à la Chine d'un exemplaire de la bombe ainsi que des détails techniques pour sa fabrication.

Juin 1959: la coopération nucléaire prend subitement fin à la suite de la détéroriation des relations entre les deux géants
communistes. La Chine décide de poursuivre seule son programme atomique.

16 octobre 1964 : Pékin procède au premier essai d'une bombe A dans le désert du Lop Nor, dans le nord-ouest de la Chine.

28 décembre 1966 : la Chine maitrise la technologie de la bombe à hydrogène (H)

17 juin 1967: première explosion réussie d'une bombe H

27 décembre 1968 : la Chine teste une bombe A de 3 mégatonnes dans le Lop Nor

29 septembre 1969 : nouvelle explosion d'une bombe A de 3 mégatonnes

14 octobre 1970 : explosion d'une bombe H de 3 mégatonnes

1980 : la Chine procéde à son dernier essai dans l'atmosphère, ensuite toutes les explosions seront souterraines

1988 : selon Washington, la Chine aurait procédé à l'essai d'une bombe à neutrons mais Pékin n'a jamais confirmé l'information

29 juillet 1996 : 45ème et dernier test nucléaire chinois : Pékin fait exploser une bombe très petite, du niveau d'un kilotonne,
suggérant une bonne maitrise de la technologie de miniaturisation des armes nucléaires

24 septembre 1996 : la Chine signe le traité international sur l'interdiction des essais nucléaires, après avoir, selon le Conseil de
défense des ressources naturelles, basé aux Etats-Unis, procédé à 23 essais dans l'atmosphère et 22 souterrains (par comparaison
les Etats-Unis ont effectué 1. 030 essais, l'URSS 750, la France 210 et le Royaume Uni 45)

Décembre 1998: Selon le Bulletin of Atomic Scientists, la Chine arrive en quatrième position du classement mondial des pays
détenteurs de l'arme nucléaire avec environ 400 têtes contre plus de 10.000 pour la Russie et les Etats-Unis.

Janvier 1999: la presse américaine commence à accuser Pékin d'avoir pillé des secrets nucléaires américains au cours des années
80 et 90

25 mai 1999: publication du rapport du représentant américain Christopher Cox accusant Pékin d'avoir systématiquement espionné
l'arsenal nucléaire des Etats-Unis depuis les années 70, obtenant des informations sur la plupart des bombes atomiques
américaines, dont la bombe à neutrons. Pékin dément toutes les allégations

15 juillet 1999: la Chine reconnait publiquement qu'elle "maitrise" la technologie de la bombe à neutrons et de la miniaturisation des
têtes nucléaires, tout en démentant à nouveau les allégations du rapport Cox.
 

Bombe à neutrons : Pékin hausse le ton face au reste du monde(15/7/99, extraits AFP)

Lors d'une conférence de presse organisée pour réfuter les allégations d'espionnage nucléaire portées contre Pékin par Washington,
le porte parole du gouvernement chinois a indiqué que la Chine avait "maitrisé successivement" la technologie de la bombe à
neutrons puis celle de la miniaturisation des armes nucléaires dans les années 70 et 80."Il ne s'agit pas d'une grande révélation, tout le monde se doutait que la Chine, qui a fait exploser sa première bombe à hydrogènedès 1967, possédait cette technologie" a commenté un expert militaire occidental.Il a ajouté que la décision de Pékin de rendre l'information publique était principalement un message destiné aux Etats-Unis, alorsque les relations entre les deux pays sont au plus bas depuis le bombardement de l'ambassade de Chine à Belgrade par l'OTAN enmai dernier."L'annonce vise à frapper les esprits, y compris en Chine même, montrer que Pékin a réussi au fil des années à développer sonpropre armement nucléaire de manière indépendante" a commenté pour sa part un diplomate occidental.Elle survient alors que la tension n'a cessé de croitre entre Pékin et Taipei depuis que le président taiwanais a affirmé samedi à uneradio allemande que Taiwan devait entretenir des relations "d'Etat à Etat" avec la Chine. La guerre verbale entre l'île et le continent, séparés depuis la fuite du régime nationaliste à Taipei en 1949, a atteint son apogée jeudi
avec une déclaration du ministre chinois de la Défense Chi Haotian laissant clairement planer la menace d'une intervention militaire
chinoise à Taiwan pour éviter que l'ile ne proclame son indépendance. Taiwan a réagi en augmentant l'état d'alerte de ses troupes
sur l'ile de Quemoy, située à 2 km des cotes chinoises. Mais selon l'expert militaire, les détails fournis jeudi par la Chine sur son programme nucléaire, visent également à "marquer son hostilité" face au renforcement des liens militaires entre le Japon, la Corée du sud et les Etats-Unis, en particulier le programme de défense anti-missile qui pourrait à terme inclure Taiwan. Sur le plan strictement militaire, les révélations faites jeudi par les autorités chinoises n'ont guère étonné les experts militaires étrangers. "Depuis le premier essai d'une bombe A en 1964, le programme nucléaire chinois s'est poursuivi de manière régulière, y compris durant la Révolution culturelle" a noté un expert qui a reconnu que la bombe à neutrons était "la suite logique" de la bombe
H. Pékin n'a toutefois pas confirmé les allégations américaines selon lesquelles elle aurait procédé à un essai de la bombe à
neutrons en 1988. Entre 1964 et 1996, date à laquelle Pékin a annoncé son intention de signer le traité international sur l'interdiction des essais nucléaires, la Chine a procédé à 45 essais contre 1.030 pour les Etats-Unis, 750 pour l'URSS, 210 pour la France et 45 pour le Royaume Uni. Comme les deux super-puissances, la Chine possède une panoplie complète de vecteurs nucléaires (sol, air, mer), mais l'arsenal chinois actuel est presqu'exclusivement basé au sol, avec des missiles stratégiques terrestres Dongfeng-5 (DF-5) et Dongfeng-31 (DF-31) d'une portée de 10 à 12.000 km, capables d'atteindre les Etats-Unis ou l'Europe. La Chine ne dispose en revanche que d'un seul sous-marin nucléaire vieillissant le "Xia" pour lancer ses missiles balistiques Julang, notamment le JL-2 qui pourrait être testé à la fin de l'année. Son aviation est également considérée comme trop âgée pour constituer une menace pour les autres puissances, même si, selon l'expert, la situation pourrait évoluer à l'avenir grâce aux avions de combat russes Sukhoi 27 et 30 que Pékin a commencé à acheter à Moscou.