Mais la Chine a-t-elle voulu aussi mettre indirectement en garde Taïwan
et les Etats-Unis ? Pékin est furieux contre le président
taïwanais Lee Teng-hui, qui a réaffirmé samedi la souveraineté
de Taipei et ces déclarations sur la bombe à neutrons peuvent
être interprétées comme une manière de rappeler
que la Chine est une puissance nucléaire qui ne doit pas être
prise à la légère. Des experts américains n'excluaient
pas jeudi cette hypothèse mais estimaient qu'il ne s'agissait pas
du motif le plus probable.
Evan Medeiros, un spécialiste de la Chine au Monterey Institute
for International Studies en Californie, soulignait que la direction
chinoise n'aurait pas pu en cinq jours seulement élaborer et
approuver une déclaration publique sur la question sensible de ses
capacités nucléaires.
"Pourquoi le font-ils maintenant ?", s'est-il interrogé. "Mon
idée est que c'est simplement pour répondre au rapport Cox".
Dans un rapport publié en mai dernier, le représentant républicain
Christopher Cox avait accusé Pékin d'avoir systématiquement
espionné l'arsenal nucléaire des Etats-Unis depuis les
années 70, obtenant des informations sur la plupart des bombes atomiques
américaines, dont la bombe à neutrons.Un démenti
chinois pourrait avoir pour objectif de créer un climat politique
plus favorable avant le début des négociations sur une adhésion
de la Chine à l'Organisation mondiale du Commerce, estime Alexander
Lennon, du Centre d'études stratégiques et internationales
à Washington.
Les Etats-Unis savaient depuis longtemps que la Chine développait
une bombe à neutrons et connaissaient ses tentatives de
conception de têtes nucléaires plus petites pour une nouvelle
génération de missiles balistiques intercontinentaux transportables
par
la route. Conçue pour tuer en laissant les constructions intactes,
la bombe à neutrons a déjà été testée
par la Chine en 1988. Elle était à l'époque destinée
à stopper une invasion de troupes soviétiques en Chine, explique
M. Medeiros. Aujourd'hui, son utilité
est discutable, note-t-il.
"Les Etats-Unis ne vont pas se lancer dans une guerre terrestre contre la Chine", fait-il remarquer. Les analystes américains avaient déduit des informations obtenues sur les essais nucléaires chinois des années 1980 et 90 que Pékin s'efforçait de fabriquer des têtes nucléaires miniaturisées. Des missiles mobiles rendraient l'arsenal nucléaire chinois (estimé par la CIA à environ 20 missiles balistiques intercontinentaux capables de frapper les Etats-Unis) plus difficiles à repérer que les missiles fixes existants. Le rapport Cox avertissait que dans le cas d'un conflit régional une force de missiles balistiques intercontinentaux modernisée "constituerait une menace directe et crédible pour Etats-Unis". Cela "pourrait avoir un effet considérable sur l'équilibre des forces dans la région, en particulier en ce qui concerne Taïwan", affirmait le rapport. "Il est encourageant de voir les Chinois faire quelque peu preuve de transparence, en parlant un peu de leur programme nucléaire", déclare M. Medeiros, ajoutant que le rapport Cox avait été une "façon étrange de les encourager à le faire".
Les Etats-Unis minimisent l'annonce par Pékin
de sa maîtrise de la bombe à neutrons (AP)vendredi
16 juillet 1999, 5h40
Le porte-parole de la Maison Blanche, Joe Lockhart,
a minimisé, jeudi 15 juillet, l'annonce faite à Pékin
selon laquelle la Chine maîtrise la technologie de la bombe à
neutrons, une arme à fusion censée réduire les effets
mécaniques et thermiques d'une explosion thermonucléaire
pour accroître, en revanche, les conséquences dévastatrices
des rayonnements neutroniques sur une population. L'information est parue
discrètement dans un document de quarante pages publié par
Pékin à l'occasion d'une conférence de presse destinée
à réfuter les accusations américaines selon lesquelles
la Chine a pillé, depuis les années 70, les secrets des Etats-Unis
en matière de fabrication d'armes nucléaires.
En octobre 1964, la Chine a réalisé
sa première expérimentation d'une bombe A (à fission)
et, en juin 1967, a procédé à sa première expérience
d'une bombe H (à fusion). Il semble, selon des analyses de source
occidentale, que la première expérimentation d'une bombe
à neutrons a eu lieu le 29 septembre 1988 et que, le 29 juillet
1996, il a été procédé à un tir de très
faible énergie (1 kilotonne), qui suggère la maîtrise
de la miniaturisation des armes nucléaires.
Depuis, la Chine a signé, le 24 septembre
1996, le traité international sur l'interdiction des essais nucléaires
et a rappelé son engagement de ne pas utiliser l'arme nucléaire
en premier. A Washington, M. Lockhart a déclaré que les Etats-Unis
avaient une connaissance précise des efforts de la Chine pour perfectionner
son arsenal de dissuasion, y compris en espionnant la technologie américaine.
Ce que conteste Pékin, qui qualifie ces accusations d'espionnage
de «pure calomnie». « Nous savons que les Chinois
ont mené un programme de modernisation, mais la Chine, a ajouté
le porte-parole américain, possède moins de deux douzaines
d'armes nucléaires de longue portée. Les Etats-Unis en ont
plus de 6 000. Nous ne doutons pas de la capacité de notre dissuasion
à protéger nos intérêts. »
L'annonce, par la Chine, qu'elle maîtrise
la bombe à neutrons intervient alors que la tension ne cesse de
croître entre Pékin et Taïwan, depuis, notamment, que
le président de l'île, Lee Teng-hui, a affirmé à
une radio allemande, samedi 10 juillet, que Taïpei devait entretenir
« des relations d'Etat à Etat » avec la Chine.
Ces propos sont considérés par Pékin comme une nouvelle
impertinence du président taïwanais, qui serait en contradiction
avec le principe d'« une seule Chine » matérialisant
la revendication chinoise de sa souveraîneté sur l'île.
Le continent et Taïpeh sont séparés depuis la défaite
du régime nationaliste en 1949.
TROUPES EN ÉTAT D'ALERTE
Selon la presse de Hongkong, les troupes chinoises, dans les régions méridionales du pays, ont été mises en état d'alerte. Les forces navales et aériennes dans le détroit de Formose seraient sur le pied de guerre. De son côté, Taïwan a mobilisé ses forces sur l'île de Quemoy, à 2 kilomètres de la côte du continent, et la Bourse de Taïpeh a baissé, vendredi, de 6,4 %, après la parution de ces informations. Si les révélations des autorités chinoises sur la bombe à neutrons n'ont guère étonné les experts militaires, il existe d'autres interprétations sur le moment choisi par Pékin pour faire son annonce. Le bombardement, par un B-2 « furtif » américain, de l'ambassade chinoise à Belgrade, pendant l'opération de l'OTAN contre la Yougoslavie, continue d'agacer la Chine, qui reçoit actuellement une délégation des Etats-Unis pour s'en expliquer. Il est probable, aussi, que Pékin tient à décourager le renforcement des liens militaires entre les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon, qui se traduit par un projet commun de défense antimissile susceptible, à terme, d'intégrer Taïwan.
La Chine reconnaît avoir mis au point la bombe à neutrons(15/7/99,
AP)
En annonçant publiquement jeudi que ses scientifiques avaient
mis au point leur propre bombe à neutrons, Pékin a semble-t-il
cherché à discréditer un peu plus les allégations
américaines selon lesquelles la Chine aurait volé aux Etats-Unis
des secrets en matière d'armes nucléaires. La Chine a fait
exploser sa première bombe à neutrons il y a onze ans, ce
qui était presque de notoriété publique dans la communauté
internationale. Mais le secret étant le maître-mot des autorités
militaires chinoises, aucune annonce publique n'a apparemment été
faite, ni par les médias d'Etat ni par les dirigeants chinois. Dans
une allocution destinée à réfuter les accusations
d'une commission du Congrès américain selon lesquelles la
Chine avait dérobé une telle technologie, Zhao Qizheng, porte-parole
du gouvernement, a déclaré publiquement jeudi que des scientifiques
chinois avaient eux-mêmes mis au point une bombe à neutrons.
Cette annonce intervient alors que des menaces d'une action militaire planent
actuellement contre Taïwan, mais les dirigeants chinois n'ont pas
voulu dire si les deux sujets avaient un lien. La Chine a en effet menacé
d'attaquer Taïwan après que le président taïwanais
Lee Teng-hui eut affirmé la semaine dernière que les deux
pays avaient des relations d'''Etat à Etat'', et que Taïwan,
n'était pas, comme l'affirme Pékin, une île faisant
partie de son territoire.
Janvier 1955 : le président Mao Tsétoung donne le coup
d'envoi formel au programme nucléaire chinois confié à
Qian Sanqing "le
père de la bombe atomique chinoise".
Avril 1955 : La Russie signe le premier d'une série de six accords
nucléaires avec la Chine, promettant une assistance en matière
de recherche dans le domaine de l'énergie atomique et de la
physique nucléaire
Mars 1956: des centaines de savants chinois reçoivent une formation
à l'Institut de recherche nucléaire Dubna à Moscou,
tandis que
la recherche sur les armements nucléaires devient une priorité
de l'Institut de physique et d'énergie atomique à Pékin
Octobre 1957: pendant une visite de Mao à Moscou, l'Union Soviétique
accepte de signer un nouveau pacte de défense prévoyant la
fourniture à la Chine d'un exemplaire de la bombe ainsi que
des détails techniques pour sa fabrication.
Juin 1959: la coopération nucléaire prend subitement fin
à la suite de la détéroriation des relations entre
les deux géants
communistes. La Chine décide de poursuivre seule son programme
atomique.
16 octobre 1964 : Pékin procède au premier essai d'une bombe A dans le désert du Lop Nor, dans le nord-ouest de la Chine.
28 décembre 1966 : la Chine maitrise la technologie de la bombe à hydrogène (H)
17 juin 1967: première explosion réussie d'une bombe H
27 décembre 1968 : la Chine teste une bombe A de 3 mégatonnes dans le Lop Nor
29 septembre 1969 : nouvelle explosion d'une bombe A de 3 mégatonnes
14 octobre 1970 : explosion d'une bombe H de 3 mégatonnes
1980 : la Chine procéde à son dernier essai dans l'atmosphère, ensuite toutes les explosions seront souterraines
1988 : selon Washington, la Chine aurait procédé à l'essai d'une bombe à neutrons mais Pékin n'a jamais confirmé l'information
29 juillet 1996 : 45ème et dernier test nucléaire chinois
: Pékin fait exploser une bombe très petite, du niveau d'un
kilotonne,
suggérant une bonne maitrise de la technologie de miniaturisation
des armes nucléaires
24 septembre 1996 : la Chine signe le traité international sur
l'interdiction des essais nucléaires, après avoir, selon
le Conseil de
défense des ressources naturelles, basé aux Etats-Unis,
procédé à 23 essais dans l'atmosphère et 22
souterrains (par comparaison
les Etats-Unis ont effectué 1. 030 essais, l'URSS 750, la France
210 et le Royaume Uni 45)
Décembre 1998: Selon le Bulletin of Atomic Scientists, la Chine
arrive en quatrième position du classement mondial des pays
détenteurs de l'arme nucléaire avec environ 400 têtes
contre plus de 10.000 pour la Russie et les Etats-Unis.
Janvier 1999: la presse américaine commence à accuser
Pékin d'avoir pillé des secrets nucléaires américains
au cours des années
80 et 90
25 mai 1999: publication du rapport du représentant américain
Christopher Cox accusant Pékin d'avoir systématiquement espionné
l'arsenal nucléaire des Etats-Unis depuis les années
70, obtenant des informations sur la plupart des bombes atomiques
américaines, dont la bombe à neutrons. Pékin dément
toutes les allégations
15 juillet 1999: la Chine reconnait publiquement qu'elle "maitrise"
la technologie de la bombe à neutrons et de la miniaturisation des
têtes nucléaires, tout en démentant à nouveau
les allégations du rapport Cox.