U.S.-CHINA RELATIONS: POWER PLAY IN HAINAN - (Far Eastern Economic Review,
12/4/2001)
Some contend that China blundered into a crisis by detaining
the crew of an
American spy plane. But informed sources say the decision is a reflection
of Beijing's determined efforts to assert its role as Asia's leading power.
(Plus: Hawkish Washington politicians have a variety of weapons against
China at their disposal.)
http://www.feer.com/_0104_19/p016region.html
http://www.feer.com/_0104_19/p020region.html
Chine
: l'équipage de l'avion U.S. libéré (Libération,
12/4/2001)
Les vingt-quatre soldats pourront quitter
la Chine après avoir accompli les formalités de départ.
George Bush annonce un retour "rapide".
La Chine et les Etats-Unis sont en passe de sortir de
la crise de l'avion-espion, retenu sur la base militaire chinoise de Lingshui
de l'île de Haïnan depuis son atterrissage en catastrophe après
sa collision avec un chasseur chinois le 1er avril. L'équipage composé
de 24 membres pourra en effet quitter le pays après avoir accompli
"les procédures appropriées de voyage", a indiqué
ce mercredi le ministre des Affaires étrangères Tang Jiaxuan
dans un communiqué lu à la télévision chinoise.
Le texte, qui précise que l'équipage va être libéré
pour "raisons humanitaires", souligne que "la Chine accorde une grande
importance à ses relations avec les Etats-Unis".
"Un accord a été conclu visant à
assurer le retour dans leur foyers de l'équipage de l'avion de reconnaissance
EP-3 se trouvant sur l'île de Hainan", a confirmé un porte-parole
de la Maison Blanche, Ari Fleischer qui a précisé que cet
accord mettrait "un terme à la détention de l'équipage
sur l'île de Haïnan", où l'EP-3E avait été
forcé d'atterrir.
Pas de date
Le ministère chinois des Affaires étrangères a cependant refusé de préciser quand les 21 hommes et trois femmes de l'avion-espion seraient libérés. "Si les Américains sont suffisamment coopératifs, cela ne devrait pas prendre longtemps. Mais je n'entrerai pas dans les détails", a déclaré le porte-parole du ministère Sun Yuxi avant d'ajouter que les Chinois avaient "tous les droits de mener une enquête approfondie dans l'avion de reconnaissance étranger".
Bush impatient
Le président américain George W. Bush a
déclaré pour sa part que l'équipage pourrait rentrer
"rapidement" aux Etats-Unis. Il a expliqué qu'il attendait avec
impatience le retour de l'équipage, et que les onze jours de crise
entre les deux pays avaient représenté "une situation difficile
pour nos deux pays".
Dans la perspective d'une libération prochaine
de l'équipage, le président américain a affirmé:
"nous travaillons sur des arrangements pour aller les chercher et les ramener
à la maison".
Colin Powell se réjouit
Le secrétaire d'Etat américain Colin Powell
s'est réjoui ce mercredi de l'accord entre la Chine et les Etats-Unis
sur la libération de l'équipage de l'avion-espion américain
retenu par Pékin depuis le 1er avril.
A l'issue d'un entretien de 1h15 avec le Premier ministre
français Lionel Jospin, le chef de la diplomatie américaine
a déclaré qu'il était "bien sûr" satisfait de
l'accord conclu entre les deux pays. Colin Powell n'a pas voulu en dire
plus, en rappelant que le président George W. Bush venait de "faire
une déclaration".
Washington est "très désolé"
Dans le même temps, l'ambassadeur des Etats-Unis
en Chine a transmis à Pékin une lettre dans laquelle Washington
se dit "très désolé". "Le président Bush et
le secrétaire d'Etat Powell ont tout deux exprimé leurs regrets
sincères pour le pilote disparu et l'avion. Transmettez au peuple
chinois et à la famille du pilote Wang Wei que nous sommes très
désolés pour cette perte", indique le message, cité
par l'agence Chine nouvelle.
En revanche, il semble que la question de l'avion-espion
lui-même n'ait pas encore trouvé de solution dans la mesure
où ni Washington ni Pékin n'évoquent le sort de l'appareil
de la Marine américaine dans leurs déclarations sur la libération
de son équipage composé de 21 hommes et trois femmes.
"L'arrogance pulvérisée"
Durant toute la crise, les autorités chinoises
n'ont eu de cesse de réclamer des excuses officielles américaines.
Mais George W. Bush a toujours refusé d'exprimer autre chose que
des regrets.
Le président chinois Jiang Zemin avait déclaré
ce mardi depuis l'Uruguay qu'il avait confiance dans la capacité
de son pays et des Etats-Unis à sortir de la crise de l'avion-espion,
tout en réitérant sa demande d'excuses au gouvernement américain.
Il a jugé que la position chinoise est "suffisamment claire".
Dans un éditorial à paraître jeudi,
le Quotidien du peuple chinois écrit: "Notre gouvernement
et notre peuple ont mené une lutte résolue contre la politique
américaine du rapport de force et contraint les Etats-Unis à
changer leur attitude rigide et déraisonnable et à s'excuser
auprès du peuple chinois". "Notre lutte a pulvérisé
l'arrogance de l'hégémonisme et permis de défendre
notre souveraineté et notre dignités nationales, elle a montré
que notre pays défend la paix mondiale et ne craint pas la politique
du plus fort menée par une grande puissance."
Kofi Annan "soulagé"
Le secrétaire général de l'ONU Kofi Annan s'est dit ce mercredi "soulagé et heureux" par le dénouement de la crise sino-américaine. Le secrétaire général a indiqué qu'il allait contacter la direction chinoise et qu'il avait déjà été en contact avec la Maison Blanche pour féliciter le président George W. Bush et son équipe, "en particulier le secrétaire d'Etat Colin Powell". "Nous étions très préoccupés par le fait que plus cela durait, plus la possibilité était grande que les positions se durcissent entre les deux pays" a déclaré Kofi Annan aux journalistes qui l'attendaient à l'entrée des Nations unies à New York.
La guerre des mots la plus sotte de l'après-guerre froide vient de s'achever sur une pirouette sémantique qui sauve l'essentiel des relations à venir entre Pékin et Washington. Après dix jours de tensions, les deux grandes puissances du XXIe siècle font la paix pour l'adjectif «very» finalement ajouté à «sorry», dans une lettre envoyée par la Maison-Blanche.
George Bush règle sa première crise internationale sans délivrer les «excuses» demandées par les Chinois, mais en indiquant qu'il est «vraiment désolé». A ce prix, les Etats-Unis récupèrent les 24 hommes et femmes de l'équipage de l'avion espion qui s'était posé en catastrophe sur l'île de Hainan le 1er avril. Les militaires chinois conservent ce trophée, pour le disséquer. Et le président Jiang Zemin va pouvoir préparer sa succession, en septembre 2002, sans avoir à subir le désastre d'une perte de face.
Si tout finit bien, «l'incident» aura néanmoins démontré au monde à quel point la relation entre la Chine et les Etats-Unis reste inflammable, même si l'intégration de «l'empire du Milieu» à l'économie mondiale oblige le gouvernement de Pékin à se plier à la loi du plus fort.
C'est hier soir à Pékin et Hainan, où étaient détenus les 24 Américains, que les deux parties ont annoncé le dénouement heureux de cette crise. «Le gouvernement chinois comprend les espérances du peuple américain et des familles en ce qui concerne un retour rapide de l'équipage», indiquait l'agence officielle Chine nouvelle en citant les propos de Tang Jiaxuan, ministre des Affaires étrangères. «Dans la mesure, ajoutait le ministre en s'adressant à Joseph Pruher, ambassadeur des Etats-Unis en Chine, où le gouvernement américain a dit au peuple chinois qu'il était vraiment désolé, le gouvernement chinois a décidé, pour des raisons humanitaires, de permettre à l'équipage de quitter la Chine après avoir accompli les formalités nécessaires.»
Même si cette crise a permis à Pékin de tester la détermination de la nouvelle administration américaine, la Chine a eu la faiblesse de jouer un scénario très similaire à celui qui avait suivi le bombardement de l'ambassade de Chine à Belgrade, en mai 1999.
Première étape: stimuler le nationalisme anti-américain latent du peuple chinois. Les images des victimes ensanglantées en 1999 et celles de l'épouse éplorée du pilote disparu aujourd'hui, catalysent l'émotion populaire. Il s'agit de montrer à la communauté internationale que ce n'est pas seulement un gouvernement communiste qui est atteint, mais 1,3 milliard d'individus. Surexploitées en 1999, ces images avaient entraîné des débordements populaires. Le consulat américain de Chengdu avait été incendié, et la façade de l'ambassade de Pékin dévastée.
Le gouvernement a compris la leçon: après une semaine de propagande intensive mais relativement modérée, la télévision se contentait hier soir d'un sobre reportage sur la femme du pilote. Dans le couloir de l'hôpital envahi par une foule compatissante chargée de fleurs, une jeune fille déclarait qu'elle «était déjà venue plusieurs fois manifester [son] soutien à la famille du pilote». Seconde manœuvre: calmer les esprits après la résolution diplomatique de l'incident.
La stratégie est illustrée par le titre de l'éditorial du Quotidien du peuple d'hier: «Faire de la ferveur patriotique un instrument de la puissance nationale.» L'ennemi américain n'en étant soudain plus un, il s'agit de canaliser l'énergie mobilisée contre lui vers des objectifs internes. Rien de mieux, dès lors, que «l'accélération des réformes et de l'ouverture, et le développement de l'éducation», comme l'affirme le journal du Parti. En 1999 déjà, les étudiants avaient été ramenés dans les campus au son du «nuli xuexi» (étudier sérieusement), martelé par les haut-parleurs. L'agitation était moins notable ces derniers jours, mais le principe reste le même. «Il faut avant tout préserver la stabilité sociale», souligne encore Le Quotidien du peuple.
Dernier impératif: démontrer que la Chine était, dès le début, dans son bon droit. Et pour cela, rien de tel que la presse étrangère, aussi exotique soit-elle. La télévision nationale citait donc hier soir un ministre congolais, des journaux libyens et indonésiens soutenant la lutte chinoise «pour la préservation de son intégrité territoriale». Au milieu de cette débauche d'arguments, la libération de l'équipage américain, évacuée en quelques phrases, passait hier presque inaperçue!
Il a fallu trois propositions de lettres entre Washington et Pékin pour qu'un accord soit trouvé. Les cocoricos du Quotidien du peuple («Notre lutte a pulvérisé l'arrogance de l'hégémonisme!» ) ne peuvent masquer le recul de l'équipe de Jiang Zemin face aux Etats-Unis. Mais les apparences peuvent être trompeuses. Car au début de cette crise, le président avait entamé une tournée en Amérique du Sud et laissé à Pékin son successeur désigné, le vice-président Hu Jintao, en charge du brûlot.
Qui a profité de l'absence du chef pour attiser le foyer de l'anti-américanisme? L'armée a été en première ligne, avec des ambitieux comme le général Xiong Guangkai, chef du renseignement chinois. Mais aussi un membre du Politburo comme Luo Gan, un protégé du président de l'Assemblée nationale Li Peng, en charge de la défense de la Loi et de l'Ordre. En bon stratège toujours sous-estimé, le président chinois ne va pas tarder à régler ses comptes avec les forces qui se sont déchaînées contre son protégé Hu Jintao.
Cette crise ne peut pas se comprendre en dehors du contexte interne. Lors du 16e congrès du Parti, en septembre 2002, cinq des sept plus hauts dirigeants doivent abandonner leurs charges. M. Jiang lui-même devrait se retirer en 2003. Il souhaite cependant, comme le fit Deng Xiaoping, conserver la présidence de la Commission militaire, pour contrôler sa succession en tirant les ficelles derrière le rideau. Jiang et son premier ministre Zhu Rongji ne voient pas d'autre salut pour leur cher Parti communiste que dans une ouverture économique à l'Occident, aux Etats-Unis d'abord.
Cette crise avec l'Amérique va donc fournir au pouvoir chinois une sorte de photographie instantanée des forces qui lui sont opposées. C'était peut-être le but de cette absurde guerre des mots.
S'excuser ou
perdre la face (Le Figaro, 10/4/2001)
Le «désolé!» ou «excusez-moi !», si courants dans la civilisation judéo-chrétienne est une démarche absolument traumatisante dans l'empire du Milieu. Les sociétés chinoises spécialisées offrent donc des excuses formelles à votre place, moyennant une dépense de quelques dizaines de francs. Mais elles emploient pour ce faire des hommes d'âge mûr, habillés de sombre et qui ne manquent pas d'éloquence.
La langue chinoise a plusieurs nuances pour exprimer les excuses. Les «regrets» proposés à Pékin par le secrétaire d'Etat Colin Powell et le président George Bush (on dit yihan, en chinois) sont à des années lumières des «excuses formelles» exigées par le président Jiang Zemin (zhengshi doaqian). Entre les deux, il y a l'expression baoqian.
«Baoqian ce n'est pas sérieux, explique Lu Jianming, professeur de linguistique au département de littérature et la langue chinoise de l'université de Pékin, on peut dire baoqian lorsqu'on est en retard. C'est être désolé, en général.» Et le Pr Lu d'ajouter: «On peut dire yihan lorsque quelque chose arrive qui n'est pas de votre responsabilité. Daoqian indique par contre que quelqu'un a commis une faute, un tort envers autrui.»
Jamais les dirigeants chinois n'ont offert le moindre daoqian aux millions de familles qui ont péri après le «Grand Bond en avant» ou la «Révolution culturelle» de Mao, même si les chefs communistes ont fini par reconnaître que ces périodes avaient été «un désastre». Il n'y a pas de culture de la responsabilité politique en Chine, et les excuses officielles n'existent pas dans l'histoire chinoise contemporaine.
Mais ces mêmes dirigeants sont prompts à exiger des excuses de toutes les puissances qui les gênent. Les Chinois exigent toujours des daoqian de la part des Japonais, pour les atrocités commises pendant l'occupation du pays. Tokyo, sauf à faire perdre la face à l'empereur, ne peut pas les offrir, ce qui permet évidemment aux Etats-Unis de jouer les gendarmes entre les deux puissances régionales qui se détestent.
En Occident, les hommes politiques sont responsables de leurs actions. Ils doivent se justifier et, le cas échéant, reconnaître leurs fautes.
Bill Clinton s'était ainsi excusé auprès de Pékin en 1999, après la destruction de l'ambassade de Chine à Belgrade. Mais il l'avait fait en chemise polo, sur la pelouse de la Maison-Blanche: les responsables chinois avaient été tellement outrés qu'ils n'avaient pas retransmis ces images.
George Bush n'est pas Bill Clinton. Comme les Chinois n'acceptent pas de commission d'enquête internationale, qu'ils retiennent les vingt-quatre militaires américains en dépeçant leur avion espion, que l'incident s'est déroulé dans l'espace aérien international après des manœuvres imprudentes des avions chinois, le président américain ne peut accepter de baisser la tête devant Pékin, dès sa première crise internationale.
Pour Jiang Zemin, au contraire, obtenir des excuses de George Bush serait une victoire prestigieuse. Les Chinois pourraient considérer que les Américains ont perdu la face sur la scène internationale. Cela explique l'intransigeance du président chinois, qui veut faire oublier sa faiblesse en 1999 face aux Etats-Unis. Et cette fois, pas question d'excuses en tenue de sport, au soleil sur une pelouse.
Avion-espion
: Pékin juge "inacceptables" les regrets américains
(Le
Monde, 10/4/2001)
Le président Jiang Zemin a maintenu que les concessions verbales
des Etats-Unis restent "inacceptables", dans l'attente d'excuses formelles
de Washington. Plusieurs signes alimentent les spéculations sur
le rôle joué par les militaires chinois pour gêner tout
règlement diplomatique de la crise
Est-ce le retour des militaires chinois dans la partie ? Alors que le climat était à la décrispation, en fin de semaine, dans la crise de l'avion-espion EP-3 immobilisé sur l'île de Hainan, le maintien à Pékin d'une ligne dure alimente les spéculations sur d'éventuelles manœuvres d'obstruction de la part des chefs de l'Armée populaire de libération (APL) hypothéquant les tentatives de règlement en cours. A ce stade, il reste toutefois difficile d'évaluer dans quelle mesure la direction chinoise serait le théâtre d'une empoignade entre civils désireux de limiter les dégâts avec Washington et militaires raidis dans la défense de l'honneur de l'APL.
Tout le monde parle cependant ici d'une seule voix. La position chinoise a été réitérée, lundi 9 avril, par le président Jiang Zemin – en visite en Argentine –, qui a déclaré que les concessions verbales jusque-là accordées par les Américains restaient "inacceptables" pour la partie chinoise.
CATALOGUE D'EXIGENCES
Pékin continue donc à réclamer des excuses formelles de la part de Washington. Et rien n'y fait : George W. Bush a beau avoir envoyé une lettre personnelle de "regrets" à l'épouse du pilote disparu, qui l'avait initialement traité de "lâche" ; le président américain a beau mettre en garde contre le risque d'une dégradation de la relation sino-américaine si la détention des vingt-quatre membres de l'équipage à Hainan devait se prolonger; son secrétaire d'Etat Colin Powell a beau s'être dit "désolé" de l'accrochage du 1er avril, une formule un peu plus forte que la simple expression de "regrets" jusque-là consentis… Tout cela est jugé insuffisant par Pékin.
La réaffirmation de celle ligne dure relève-t-elle de la simple politique de la "face" – la Chine "victime" souhaitant voir sa "dignité" respectée – ou s'explique-t-elle par l'activisme en coulisse de l'APL ne souhaitant pas céder trop de terrain à des diplomates enclins au compromis ? Le fait est que l'armée est bien servie dans la mise en scène de la crise par la propagande. Le ministre de la défense, Chi Haotian, a eu la vedette tout le week-end, photographié en compagnie de l'épouse du pilote disparu. Le ministre a exigé des Américains qu'ils "portent la responsabilité" de l'accrochage aérien du 1er avril, "s'excusent" et prennent des mesures pour "éviter que ce problème se renouvelle". C'est-à-dire pour qu'ils cessent leurs activités de reconnaissance à proximité des côtes chinoises. Ce dernier point semble d'ailleurs capital dans le catalogue d'exigences que Pékin a soumis à Washington.
Dans le même temps, Hu Jintao, successeur pressenti de Jiang Zemin, est d'une discrétion absolue dans la crise, alors qu'il est – en l'absence du président – le plus haut responsable politique de l'armée en sa qualité de premier vice-président de la Commission militaire centrale (CMC, l'autorité politique coiffant l'APL).
Son effacement s'explique probablement par le rôle controversé qu'il a joué au lendemain du bombardement de l'ambassade chinoise à Belgrade, en mai 1999, lorsqu'il demanda aux manifestants étudiants protestant devant l'ambassade américaine à Pékin de regagner sagement leur campus. Cette intervention lui avait valu une volée d'injures dans les forums de discussion sur Internet où on l'accusait de faiblesse à l'égard des Américains. C'est visiblement pour ne pas réveiller ce souvenir, et alors que le régime affecte la posture de la dignité nationale à restaurer, que Hu Jintao reste aujourd'hui en retrait.
Mais si la direction du Parti s'efforce de ménager les militaires, elle prend tout de même soin ne pas être l'otage des faucons de l'APL, alors même que l'équipage américain demeure retenu dans une caserne de l'armée. Dans un discours devant le commandement de la région militaire du Guangdong, Li Changchun, l'un des plus proches lieutenants de Jiang Zemin, a réaffirmé, samedi 7 avril, la nécessité d'"assurer la direction absolue du Parti sur l'armée".
La formule est certes un classique du système communiste chinois – "le Parti commande aux fusils" –, mais elle prend une résonance particulière dans le contexte actuel. Le fait que la presse officielle de mardi rappelle à la "une" que Washington et Pékin ont engagé des "négociations diplomatiques" montre aussi bien les limites de ce que les civils sont prêts à concéder aux militaires dans la gestion de cette crise.
USA-Chine.
L'avion espion américain a été inspecté par
des militaires chinois. (L'Humanité, 4/4/2001)
Bush vers une stratégie de confrontation
Des militaires chinois ont inspecté l'avion espion américain qui s'est posé dimanche sur l'île chinoise de Hainan - située à une dizaine de kilomètres du continent, entre la mer de Chine méridionale et le golfe du Tonkin - après une collision avec un chasseur de l'armée chinoise, a déclaré mardi soir l'amiral Joseph Prueher, ambassadeur américain en Chine. " Nous sommes sûrs que l'équipage n'est pas dans l'appareil et nous avons toutes les raisons de penser que les Chinois ont intégralement fouillé l'avion ", a-t-il dit. Des diplomates américains s'apprêtaient à rencontrer mardi soir l'équipage à Haikou, la capitale de la province de Hainan, où ils devaient être conduits en minibus, a indiqué une source policière chinoise.
Evoquant hier pour la première fois cette affaire, le président chinois Jiang Zemin a déclaré que les Etats-Unis devaient " endosser la responsabilité " de la collision. " Nous ne comprenons pas pourquoi les Etats-Unis envoient souvent leurs avions en mission de surveillance dans des zones si proches de la Chine. Et cette fois-ci, en violation du droit et des normes internationaux, l'avion américain a heurté notre avion, envahi l'espace aérien chinois et atterri sur notre aéroport ", a souligné le président Jiang. Il répondait ainsi à la mise en demeure de W. Bush. Le président américain avait affirmé lundi : " Les Chinois doivent immédiatement (...) restituer l'avion sans autres manipulations ", faisant référence à ce qu'il a qualifié de conventions internationales en la manière.
Va-t-on, après l'inspection par des experts chinois de l'appareil d'espionnage, vers un dénouement rapide de la crise entre Washington et Pékin, ou au contraire vers une nouvelle escalade dans la tension ? Les trois destroyers américains qui patrouillaient dans la région ont rebroussé chemin, a annoncé la flotte Asie-Pacifique, " pour ne pas donner l'impression d'envisager une solution militaire ". Ce qui laisserait penser que Washington hésite à jeter de l'huile sur le feu. Mais, dans le même temps, au Pentagone on estime que " de nouveaux gamins sont venus jouer dans la cour des grands, ils jouent des jeux dangereux "... expliquait hier le New York Times. Les militaires, poursuit le quotidien, " considèrent Pékin comme un rival, si ce n'est comme un ennemi potentiel ".
L'administration Bush semble être en train de positionner sur le terrain sa nouvelle doctrine de confrontation stratégique. Par différence avec celle de l'administration Clinton, pour qui l'hégémonie américaine dans le monde devait se réaliser par des interventions multiformes, allant de la négociation à l'action armée.
W. Bush " devra rapidement décider s'il utilisera la puissance américaine, et quand il l'utilisera ", écrivait le 25 mars dernier Marc D. Charney dans le New York Times. En ce qui concerne l'Asie, la réponse à cette question est en train de se dessiner. Washington va prochainement décider de fournir à Taïwan des navires équipés de missiles de haute technologie, rompant ainsi l'équilibre entre l'île et la Chine continentale. Plus grave encore, Bush souhaite que Taïwan soit placé sous le " bouclier spatial " américain, le projet de défense anti-missiles balistiques qui, pour Pékin, est totalement inacceptable : en effet, la technologie chinoise dans ce domaine - à la différence de celles des Européens et, surtout, de la Russie - est embryonnaire. Pékin serait de ce fait contraint à développer la dissuasion classique avec une course aux armements stratégiques nucléaires.
Les alliés asiatiques traditionnels des Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon, sont eux aussi dans le collimateur de W. Bush, dans la mesure où ces pays recherchent une plus grande autonomie régionale, notamment dans leur politique vis-à-vis de la Chine. Lors de sa récente visite à Washington, le président sud-coréen Kim dae-Jung s'est vu intimer l'ordre d'arrêter sa politique de réconciliation avec la Corée du Nord, que Bill Clinton avait pourtant accepté de soutenir. Dans le même temps, W. Bush a évoqué l'extension du " bouclier spatial " à la Corée du Sud, au risque de pousser Pyongyang à reprendre sa fabrication de missiles stratégiques intercontinentaux. Ce qui, accessoirement, a conduit à l'ouverture d'un nouveau champ de frictions avec l'Union européenne, qui a toutefois confirmé sa volonté d'ouvrir des relations diplomatiques avec Pyongyang.
De la même manière, W. Bush a indisposé le Japon en lui " offrant " également sa " protection spatiale ". Une offre encombrante par son caractère déstabilisant de l'équilibre entre le Japon et la Chine, amis aussi avec la Russie. " Les bonnes relations entre les Etats-Unis et la Chine sont importantes pour la paix et la stabilité dans la région Asie-Pacifique ", a dit hier Yasuo Fukuda, porte-parole du gouvernement, en commentant la tension sino-américaine. L'entrée intempestive hier, sans avertir, d'un sous-marin nucléaire américain dans le port japonais de Sasebo (800 km au sud-ouest de Tokyo) a du même coup été qualifiée d'incident grave par les autorités locales et le ministre des Affaires étrangères, Yohei Kono, a déclaré que, pour l'instant, " nous ne pouvons coopérer avec les sous-marins nucléaires entrant dans les ports japonais ".
L'intégrale
de la lettre envoyée par l'ambassadeur américain
Voici la lettre de regrets transmise par l'ambassadeur
américain en Chine, Joseph Prueher, au ministre des Affaires étrangères
chinois, Tang Jiaxuan, à propos de l'accident de l'avion espion
EP-3, cette lettre a été rendue publique par la Maison Blanche
:
"Cher Monsieur le ministre,
Au nom du gouvernement des Etats-Unis, je vous soumets
les étapes pour résoudre cette affaire. A la fois, le président
Bush et le secrétaire d'Etat Powell ont exprimé leurs sincères
regrets pour la disparition du pilote et de l'appareil. S'il vous plaît,
transmettez au peuple chinois et à la famille du pilote Wang Wei
que nous sommes vraiment désolés pour leur perte.
Bien que le tableau complet de ce qui est arrivé
ne soit pas encore clair, selon nos informations, notre appareil sérieusement
endommagé a fait un atterrissage d'urgence après avoir suivi
les procédures internationales d'urgence. Nous sommes vraiment désolés
que l'entrée dans l'espace aérien international et l'atterrissage
n'aient pas eu de feu vert verbal. Nous apprécions les efforts de
la Chine pour le bien-être de notre équipage.
Par rapport à cet incident tragique et sur la
base de mes discussions avec votre représentant, nous sommes tombés
d'accord sur les actions suivantes: Les deux parties sont d'accord pour
tenir une réunion afin de discuter de l'incident. Mon gouvernement
comprend et s'attend à ce que notre équipage soit autorisé
à quitter la Chine aussi vite que possible.
La réunion devrait commencer le 18 avril 2001.
Le programme de la réunion inclura des discussions
sur les causes de l'accident, les recommandations possibles afin de voir
comment de telles collisions peuvent être évitées à
l'avenir, la mise sur pied d'un plan pour le retour rapide de l'avion EP-3,
et d'autres questions. Nous reconnaissons l'intention de votre gouvernement
de soulever laquestion des missions américaines de reconnaissance
près de la Chine au cours de cette réunion.
Sincèrement,
Joseph W. Prueher"
Chronologie des relations sino-américaines depuis l'établissement de relations diplomatiques, voilà 22 ans.
- 1979: le 1er janvier, établissement des relations diplomatiques. Washington s'engage à ne conserver que des liens non officiels avec Taiwan, que Pékin considère comme une "province rebelle".
- 1984: visite en Chine du président Ronald Reagan.
- 1985: le président Li Xiannian fait à son tour une visite officielle aux Etats-Unis.
- 1989: visite du président George Bush, en février. La répression par l'armée du mouvement pro-démocratique le 4 juin à Pékin sur la place Tiananmen, affecte gravement les relations. Les Etats-Unis imposent des sanctions, notamment sur les ventes d'armes et la coopération en matière d'énergie nucléaire.
- 1993: rencontre des présidents Jiang Zemin et Bill Clinton, en marge du sommet du Forum économique des pays d'Asie-Pacifique (APEC) à Seattle (Etats-Unis).
- 1994: le président Clinton renonce à lier le renouvellement de la Clause de la nation la plus favorisée aux progrès chinois en matière de droits de l'Homme.
- 1995: une visite "non officielle" aux Etats-Unis du président taiwanais Lee Teng-Hui provoque le rappel temporaire par la Chine de son ambassadeur à Washington.
- 1996: manoeuvres militaires d'intimidation de la Chine, en mars, à proximité du détroit de Formose, avant la 1ère élection présidentielle démocratique à Taiwan. Washington dépêche deux porte-avions dans la région.
- 1997: visite du président Jiang aux Etats-Unis, la première d'un "numéro un" chinois depuis près de vingt ans. Les deux pays décident de reprendre leur coopération nucléaire.
- 1998: visite historique du président Clinton (25 juin-3 juillet), la première d'un président américain depuis près de dix ans. Elle consacre la réhabilitation de la Chine neuf ans après le massacre de Tiananmen. Bill Clinton est le premier président américain à exprimer personnellement, à Shanghai, le refus de l'indépendance de Taiwan.
- 1999: un accord commercial bilatéral,
signé le 10 avril à l'occasion de la visite à Washington
du Premier ministre Zhu Rongji, ouvre le marché chinois à
la viande et aux agrumes américain.
- Le 7 mai, le bombardement par l'OTAN de l'ambassade
de Chine à Belgrade (3 morts) provoque une crise grave: Pékin
suspend ses contacts militaires avec Washington ainsi que le dialogue sur
les droits de l'homme, le désarmement et le dossier OMC.
- Le 25 mai, le Congrès américain publie
le rapport Christopher Cox sur le vol de secrets nucléaires par
la Chine.
- Le 15 novembre , un accord sino-américain ouvre
la voie à l'adhésion de la Chine à l'OMC.
- 2000: à l'occasion des élections taiwanaises, Pékin accuse Washington d'utiliser Taiwan comme un "porte-avion insubmersible" pour contrôler la Chine et condamne vigoureusement les ventes d'armes américaines à Taipei.
- 2001: depuis son arrivée à la Maison-Blanche, le président Bush et Pékin s'opposent à propos notamment de Taiwan, de l'Irak, du bouclier anti-missiles (NMD) et des droits de l'Homme.
-01/04
Un bras de fer s'engage après une collision au-dessus
de la mer de Chine méridionale entre un chasseur chinois, qui s'abîme
en mer, et un avion espion américain. Endommagé, ce dernier
atterrit sans autorisation sur l'île chinoise de Hainan (sud). Faute
d'excuses formelles des Etats-Unis, la reconnaissance de leur "responsabilité"
et l'abandon des vols de reconnaissance, Pékin retient l'appareil
et ses 24 membres d'équipage.
-11/04
Washington finit par se dire, par lettre, "vraiment désolé"
pour la disparition du pilote chinois, l'entrée de l'avion américain
dans l'espace aérien chinois et son atterrissage sans "autorisation
verbale".