"Paris - Hanoï - Saïgon, l'aventure de l'art moderne au Viêt Nam"
Au pavillon des arts (101, rue de Rambuteau - Terrasse Lautréamont - 75001 Paris)
du 20 mars au 17 mai 1998
 
L'ECOLE DES BEAUX-ARTS D'HANOÏ 

Si l'on excepte les ouvres de quelques rares peintres vietnamiens formés à Paris, la peinture moderne naît au Vietnam avec la création de l'Ecole des Beaux-Arts d'Hanoï en 1925. 

De nombreux peintres français dont Victor Tardieu débarquent en Indochine dès la fin du XIXème siècle, en quête d'exotisme. Ils sont généralement missionnés par le gouvernement qui voit, par le biais de l'art, un moyen de faire connaître la lointaine Indochine aux Français de métropole, et d'importer la culture française au Viêt Nam. 

Durant l'année 1910, le gouvernement systématise la venue des peintres français dans la colonie, par la mise en place du prix Indochine qui offre aux bénéficiaires une bourse de voyage. Ainsi, lorsque l'Ecole des Beaux-Arts de l'Indochine ouvre ses portes en 1925, le peintre Victor Tardieu (prix Indochine 1920) en est d'ailleurs le directeur jusqu'à sa mort en 1937. 

Dans l'organisation des cours, l'Ecole des Beaux-Arts de l'Indochine est globalement une transposition de l'Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris. Théoriquement, cette école doit tenter de concilier les traditions vietnamiennes avec une approche occidentale de l'art. 

L'exposition du Pavillon des Arts se découpe en trois sections : le temps de l'Indochine, le temps de la guerre et enfin le temps du renouveau. 

LE TEMPS DE L'INDOCHINE 

La rétrospective du Pavillon des Arts se propose de réunir tout d'abord les peintures et sculptures des professeurs français, comme Victor Tardieu, Joseph Inguimberty, Evariste Jonchère, ou André Maire et leurs élèves comme Mai Thu, Lê Phô ou Nguyen Gia Tri. 

Victor Tardieu et Evariste Jonchère sont diplômés de l'Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris, Joseph Inguimberty de l'Ecole nationale des arts-décoratifs de Paris, enfin André Maire a travaillé assidûment sous la direction d'Emile Bernard, dont il épouse la fille : 

Les professeurs français de l'Ecole des beaux-arts de Hanoï 
Victor Tardieu (1870-1937) 
 

C'est en avril 1870 qu'il naît à Lyon dans une famille de soyeux. Très jeune il intègre l'école des Beaux-Arts de sa ville puis celle de Paris dans l'atelier de Bonnet, en 1892. Il pratique rapidement de grandes compositions. La première sera un vitrail pour la salle de l'hôtel de ville de Dunkerque (détruit en 1940). Avec son tableau travail (scènes de chantier de construction), il obtient le prix national qui va lui permettre de voyager en Europe pendant deux ans, en compagnie de son épouse, la fille du compositeur Luigini. Il peint notamment les grands ports (Gènes, Londres, Liverpool). 

De retour à Paris en 1906 il exécute une vaste fresque pour la mairie des Lilas (160 m²) sur le thème Au temps de Paul de Bock, tout en réalisant aussi de nombreux portraits. En 1914 il s'engage volontaire et participe à la guerre dans le Nord. En 1920, il effectue une deuxième grande composition pour la mairie de Montrouge Les âges de la vie. La même année il reçoit le prix d'Indochine et s'embarque pour Hanoï, où il ne devait rester que quelques mois. 

Il conçoit une grande toile de 180m² pour le grand amphithéâtre de l'université de Hanoï La Métropole et une autre pour la salle de la bibliothèque de la ville. Seule subsiste la première mais elle n'est pas accessible. En 1925, il prend la direction de l'Ecole des beaux-arts de l'Indochine qui vient d'être créée sur son initiative et celle de son plus fidèle ami et collaborateur Nguyen Nam Son. 

Il rentre quelques mois en France afin de recruter son collège professoral puis repart définitivement à Hanoï où il décède le 12 juin 1937. 

Victor tardieu, peintre de tradition classique (il cherchait " à rendre, disait-il, la beauté du corps humain à l'instar des Grecs ") mais sensible aux maîtres impressionnistes. Il contribue grandement au succès de l'Ecole des Beaux-Arts de l'Indochine aidé de son plus fidèle ami et collaborateur Nguyen Nam Son. Il croie profondément en la valeur de ses élèves avec lesquels d'ailleurs il sait établir des liens privilégiés. Il les trouvaient, écrivaient-il, " plus intéressant que les Français ". 

Ses ouvres sont notamment dans les musées de Lyon, de Rennes et au musée de l'Armée à Paris. 

Joseph Inguimberty (1896-1971) 

Né à Marseille en janvier 1896 il est très vite attiré par le dessin et hésite entre une carrière de peintre et d'architecte. Il intègre finalement en 1913 l'Ecole nationale supérieure des arts décoratifs de Paris dans l'atelier d'E. Morand. 

En 1920, il obtient une première bourse de voyage qui l'emmène en Hollande et Belgique, et qui lui inspire ses premières compositions de grande envergure. Il obtient le prix Blumenthal en 1922. Il réalise un important triptyque consacré à la vie du port de Marseille (trois tableaux de cinq mètres sur quatre, Marseille, le Débarquement du plâtre, le Débarquement des arachides). 

Nouveau départ vers l'Italie, l'Espagne et la Grèce. En 1925, il est recruté par Victor Tardieu, pour diriger le département de peinture de l'Ecole des beaux-arts de Hanoï, ce qu'il fera jusqu'en 1946. Il crée une importante section sur la technique et l'art de la laque. 

De retour en France il trouve son inspiration dans les paysages de Provence (Baux, Eygalières, Menton) participe à de nombreuses expositions tant à Paris que dans le Midi. 

Tout en appartenant à l'école " réaliste ", son ouvre peut se diviser en trois périodes : 

-Avant 1925, c'est la période de grandes compositions, qui reflétant l'ambiance de l'époque, exaltent les vertus du travail (connotation sociale). Sa peinture est forte, structurée et encore assez académique. 

-De 1925 à 1945, c'est la période indochinoise où le trait s'efface au profit de la couleur pour mieux dépeindre l'atmosphère tropicale (il affectionne les thèmes ruraux). 

-Et enfin la période provençale où il continue son travail sur la couleur et la lumière, se rapprochant par là du courant impressionniste. 

Homme de caractère indépendant, travailleur acharné, d'un abord réservé, il joua un rôle de tout premier plan au sein de l'Ecole des beaux-arts de Hanoï. 

Evariste Jonchère (1892-1956). 

Dès l'âge de seize ans, Evariste Jonchère qui montre un goût et un talent évident pour le dessin est admis à l'Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris dans l'atelier d'Antonin Mercié puis après la guerre, il travail dans l'atelier du sculpteur Boucher. 

En 1925, il obtient le grand prix de Rome pour une ouvre intitulée vendanges. Après un séjour de quatre ans en Italie, il enseigne à l'école des beaux-arts du Havre. En 1932, il obtient le prix Indochine et part au Viêt Nam où il passe deux ans à peindre et sculpter. Sur le chemin du retour il entreprend un quasi-tour du monde (Mandchourie, Japon, San Francisco, Terre-Neuve, etc.). 

En France, il reprend ses travaux de sculpteur, tout en participant à l'exposition universelle de 1937. L'année suivante il est nommé directeur de l'Ecole des beaux-arts de l'Indochine prenant la suite de Victor Tardieu 

Il y restera jusqu'en 1944, accomplissant un travail considérable. Il consolide l'ouvre de son prédécesseur, développe la section de laque, crée des écoles d'art appliqué dans tout le pays, organise la promotion des ouvres issues de ces écoles. 

A son retour de France, il se lance à nouveau dans de grandes réalisations comme celle pour le Palais de l'Elysée. 

Il part en Afrique, à la quête d'inspirations nouvelles, et il est nommé en 1952 directeur de l'Ecole supérieure de Brazzaville. 

En 1955, il s'installe à nouveau à Paris, où il reprend son travail de sculpteur. Il décède l'année suivante. 

Tout en ayant un parcours assez typique, organisé autour de trois pôles : les commandes officielles, l'enseignement, la création personnelle, la vie et l'ouvre d'Evariste Jonchère sont particulièrement intéressantes. Il a, en quelque sorte poussé à l'extrême ces trois activités, qui témoignent non seulement de son grand talent mais aussi d'une capacité de travail exceptionnelle. 

André Maire (1898-1984) 

Dès l'âge de douze ans, André Maire exprime son attirance pour le dessin et suit le cours de la ville de Paris. Ses parents sollicitent alors l'avis d'Emile Bernard qui l'encourage dans cette voie. Ce dernier deviendra son maître. 

En 1917, il suit les cours d'A. Devambez aux Beaux-Arts puis il est mobilisé. Sur les conseils d'Emile Bernard, il demande à partir en Indochine où il effectue son service militaire dans l'infanterie. 

Il enseigne parallèlement le dessin au Lycée Chasseloup-Laubat à Saïgon et circulant à sa guise, il découvre le site d'Angkor qui le marquera à jamais. Il établit à cette occasion nombre de croquis et relevés qui serviront à la reconstitution des temples d'Angkor lors de l'exposition de 1931. Son séjour en Asie lui permet de prendre du recul par rapport à l'influence d'Emile Bernard. 

Après deux années passées en Italie à peindre de nombreuses vues sur Venise, Trieste, Rome, il rentre en France en 1928 et s'installe en 1930 à Semur-en Auxois qui devient son point d'ancrage. 

Son goût pour les grands formats, l'architecture, les perspectives, les personnages longilignes est dorénavant bien établi. 

En 1938, nouveau départ vers l'Egypte, les Indes, Ceylan et en 1945 pour l'Afrique. En 1948, il retourne au Viêt Nam où il reste juqu'en 1955, professeur de dessin et de modelage à l'Ecole d'architecture de Saïgon. 

L'ouvre considérable d'André Maire s'inscrit d'une part dans une perspective décorative en corrélation avec l'esprit d'époque d'autre part, dans une vision que l'on pourrait qualifier " d'humaniste éclairé ". Ses compositions frappe par leur équilibre, la rigueur et la sûreté du trait, montrant une grande constance dans l'esprit décoratif et poétique. Ses dessins de monuments sont comme un hymne au génie créateur de l'homme mais aussi à ce qui l'anime profondément, la spiritualité omniprésente. 

Leurs élèves 
Mai Thu, Mai Trung Thu, (1890-1973) 

Diplômé de l'Ecole des beaux-arts de l'Indochine en 1930 (première promotion), il devient professeur de dessin à Hué où il aime fréquenter les musiciens de cette ville. C'est en 1937 qu'il arrive en France à l'occasion de l'exposition internationale où ses ouvres sont présentées et il décide de s'y installer. 

Tout en participant au Salon des Indépendants et d'Automne, il se fait connaître en jouant du doc-huyen, instrument monocorde. Il participe régulièrement à des concerts de musique traditionnelle, en compagnie du célèbre musicologue Tran Van Khe. 

Engagé volontaire en 1940, à l'armistice il reste bloqué quelques temps à Mâcon où il réalise un décor pour une des chapelles de l'église Saint-Pierre. 

En 1942, il est invité en Algérie. De retour à Paris, hormis le tournage de quelques films sur le Viêt Nam, il se consacre à sa peinture. 

De caractère indépendant, discret, cet artiste complet a très vite utilisé la soie comme support pictural, selon une technique qu'il a mise au point, de lavages successifs permettant d'adoucir les tonalités. Ses thèmes de prédilection sont les enfants et les jeunes filles qu'il dépeint de façon intimiste. 

Dans une vision idéalisée ses femmes sont graciles, longilignes, pensives ou nostalgiques. Le ponceau se fait léger dans les contours, subtil, pour des compositions maîtrisées dans lesquelles la nature n'est qu'accessoire. 

Mai Thu est un peintre prolixe, influencé par l'esthétique japonisante, il pousse le raffinement jusqu'à réaliser lui-même l'encadrement de ses ouvres, qu'il agrémente de volutes sur feuille d'or. 
 

Lê Phô (1947-1907) 

Né dans la province de Ha Tay dans une famille de hauts mandarins (son père est le vice-roi du Tonkin), il intègre l'Ecole des beaux-arts de l'Indochine dès sa création (promotion 1925-1930). 

A l'occasion de l'exposition coloniale de 1931 de Vincennes où ses ouvres sont présentées et où il assiste Victor tardieu, membre du jury de la section artisanale de l'exposition. Il séjourne en France et suit pendant un an des cours à l'Ecole des beaux-arts de Paris. Puis il voyage en Belgique, Hollande, Italie où il découvre les " Primitifs " qui influenceront considérablement son ouvre. 

En 1933, il rentre au Viêt Nam et il enseigne à l'Ecole des beaux-arts de Hanoï tout en réalisant des commandes officielles pour le Palais de Hué. 

C'est en 1937, alors qu'il est directeur artistique de la section d'Indochine de l'exposition internationale, qu'il décide de s'installer en France. En 1941, avec le peintre Mai Thu, il est invité à exposer en Algérie. 

Il est l'un des peintres vietnamiens les plus renommés. Tout en travaillant à la fois la technique de la peinture à l'huile et celle de la soie, il semble avoir, au fil des années, plutôt privilégié la première. 

Au travers de ses thèmes préférentiels, les femmes et les fleurs, on peut distinguer un intéressante évolution stylistique : 

- la période classique, qui correspond aux années vietnamiennes où, d'un pinceau solide, assuré, il crée des ouvres inspirées par son proche environnement comme en témoigne "La Femme du mandarin" ou "La maison familiale du Tonkin". 

- la période primitive, déterminée par son voyage en Italie. Il adopte une vision plus idéaliste, les visages s'affinent, le trait se fait plus léger, la palette, chatoyante, est travaillée en aplats sur soie. 

- la dernière période est celle, au travers exclusivement de la technique à l'huile, de la lumière, avec l'emploi d'un jaune particulièrement soutenu, qu'il travaille à la façon impressionniste, par touches enlevées et vives, le pinceau s'arrêtant plus longuement sur les visages. 

Nguyen Gia Tri (1908-1993) 

Originaire de la province de Ha Tay, il intègre l'Ecole des beaux-arts de l'Indochine en 1929 (cinquième promotion) mais interrompt sa scolarité. Incité par Victor Tardieu à la reprendre, il se retrouve alors parmi les élèves de la septième promotion dont il est finalement diplômé. 

En 1946, il quitte Hanoï pour Hong Kong où il utilise préférentiellement la technique de la peinture à l'huile. Il y reste jusqu'en 1951. 

En 1954, il part vivre à Saïgon, menant une existence studieuse, retirée, entièrement dévolue à la peinture. 

Il sut porter à son apogée l'art de la laque, séduit par les possibilités picturales et décoratives de cette matière si subtile et orientale. La technique de la laque poncée fut pour lui une quasi-révélation. 

Nguyen Gia Tri réalisa entre 1939 et 1945 un très grands nombre d'ouvres en panneaux, paravents, portes d'armoire. Pour ce faire, il avait l'habitude dans son atelier de s'entourer d'une équipe d'artisans laqueurs. 

Son style chatoyant, précieux, tout en rythme est une sorte de vision rêvée, allégorique dans laquelle se meuvent des jeunes femmes aériennes et dansantes. 

A partir de 1966, il commence à exécuter, en laque, des tableaux de facture abstraite, ce dont il avait depuis longtemps envie. 

Artiste au tempérament droit et affable, il a véritablement révolutionné cette matière, appliquant des incrustations à la coquille d'ouf, usant abondamment des couleurs riches (or, rouge, jaune) tout en sachant ménager l'oil par l'apposition de zones ombrées où apparaissent parfois quelques touches de bleu de Prusse. 

Dans un entretien de septembre 1979 (avec Nguyen Xuan Viet) l'artiste insiste sur la nécessité de respecter la matière, de faire en sorte qu'elle suive l'idée tout en l'utilisant de façon à ce que chaque "détail reflète la lumière". 

Véritable magicien de la laque, son ouvre résulte plus que tout autre d'une adéquation parfaite et d'une osmose absolue entre l'artiste et la matière. 

LE TEMPS DE LA GUERRE 

Il s'agit ensuite d'évoquer la guerre et l'école au maquis, reprise par des maîtres vietnamiens. La montée du nationalisme, la guerre et l'accession à l'indépendance, la partition et la réunification du pays engendrent une nouvelle étape pour les artistes vietnamiens qui partent en quête de leur identité culturelle. Ces années noires vont leur permettre de prendre de la distance avec l'enseignement occidental et de l'intégrer à leur histoire. 

Cette nouvelle période qui va des années 40 aux années 70 est néanmoins dominée par l'irruption de quatre fortes personnalités, véritables fondateurs de l'art moderne vietnamien que l'histoire de l'art a aujourd'hui retenu sous le nom de " quatre piliers du temple " : Bui Xuan Phai, Duong Bich Liên, Nguyên Sàng et Nguyen Tu Nghiem. 

Tous sont nés au début des années vingt. Il appartiennent à la dernière génération des étudiants de l'Ecole supérieur des Beaux-Arts de de Hanoï. 

A la fin de l'année 1946, il ont tous quitté la capitale pour se rendre dans le maquis du Viêt Bac et participer à la grande guerre patriotique. 

A l'automne 1954, avec le rétablissement de la paix, ils sont tous rentrés. Imprégné des audaces occidentales de Picasso, Léger, voire des tenants de l'abstraction, l'art de ces pionniers en marge bouscule les conventions du paysage comme du portrait, tant par les styles que par les matériaux choisis 

Les quatre piliers du temple 
Bui Xuan Phai (1920-1988) 

Bui Xuan Phai est sans nul doute le peintre issu de l'Ecole des beaux-arts de l'Indochine (dernière promotion 1941-1945) dont l'influence a été la plus déterminante dans l'élaboration du courant d'art moderne des dernières décennies. Il est l'un des plus attachant et des plus originaux. 

A sa sortie d'école, il rejoint le mouvement révolutionnaire à Hanoï, puis le mouvement de résistance du Viêt Bac jusqu'en 1950. Fatigué, déjà souffrant il regagne Hanoï, où il réalise des illustrations pour différents journaux comme la revue Van Nhee. 

En 1956, il enseigne à l'Ecole des beaux-arts du Viêt Nam. L'année suivante il rejoint le mouvement Nhan Van Gia Pham (Humanisme - Belles ouvres), mouvement littéraire et artistique pour la liberté d'expression, qui sera d'ailleurs vite réprimé. 

En 1984, il réalise sa seule exposition individuelle à Hanoï. Il meurt quatre ans plus tard alors qu'allait se concrétiser l'un de ses rêves les plus chers : venir à Paris " à la rencontre " de Rouault, Marquet, Matisse et Picasso_.. 

Bui Xuan Phai est un peintre très prolifique, animé d'une véritable " rage de peindre ", à tout heure du jour, sur tout support, même les plus inattendus (papier journal, feuille de carnet, boîtes d'allumettes ou de cigarettes, etc.). Il peignait de manière vive et saccadée, presque fiévreusement, cernant souvent d'un trait noir ses motifs, en appliquant au couteau les couleurs. 

Ses thèmes préférentiels allaient des rues de Hanoï (il était amicalement surnommé "Phai Pho") aux scènes de chéo (opéra traditionnel très populaire) et aux portraits 

Dans les années soixante, il se mit à étudier le chéo, tandis qu'il préparait le décor du Fil de soie d'or avec son auteur Viet Dung. L'esthétique simple et nue, spirituelle et malicieuse, le langage prosaïque et les coloris festoyants du chéo le séduisirent immédiatement. Il chercha alors à élaborer un langage pictural qui soit capable d'exprimer toute " l'expressivité " de cet art théâtral. 

Quand aux portraits, il en réalise des centaines, de tous ses amis à qui il les offrait sans compter. 

D'une nature généreuse, sensible, ayant beaucoup d'humour il était connu et apprécié de tous à Hanoï 

Il écrivait dans son journal intime : " Peindre, c'est vivre et respirer, peindre passionnément, entretenir continuellement le feu. Le laisser refroidir c'est mourir_ Ce qui fait la richesse d'un artiste ce n'est pas l'adresse de ses mains mais la richesse et la sensibilité de son âme_" 

Duong Bich Liên (1924-1988) 

Duong Bich Liên est né dans la province de Hung Yên, dans une famille de mandarins et d'intellectuels, il appartient à la dernière promotion (1944-1949) de l'Ecole des beaux-arts de l'Indochine. 

En 1946, il participe à la résistance au sein du Viêt Bac et en 1952, il a l'honneur de peindre le président Hô Chi Minh. 

Bien qu'ayant régulièrement ses ouvres exposées, l'ensemble de son travail n'a été véritablement connu qu'après sa mort. 

A partir des années soixante, il vit retiré, solitaire, ne fréquentant que rarement les milieux artistiques et encore moins politiques. Il n'a jamais cherché à montrer ni a vendre ses ouvres. 

Homme cultivé, raffiné, il affectionnait les portraits qui constituent les deux tiers de ses ouvres. Il s'appliquait alors à rendre toute l'intériorité et la singularité de son modèle, à travers une facture classique. 

C'est probablement dans ses toiles sur la guerre comme La tranchée ou La nuit de l'opération que l'on perçoit le mieux son originalité et sa force, simplifiant à l'extrême les lignes dans des dégradés de couleurs subtilement construites. 

Son " ouvre inachevée " témoigne du pathétisme de la fin de sa vie. Usant de plus en plus d'alcool, il décide un soir de décembre 1988 de ne plus s'alimenter. 

Nguyên Sàng (1923-1988) 

Originaire de Mytho, province de Tiên Giang, il étudie à l'école des arts appliqués de Gia Dinh à Saïgon entre 1936 et 1938, puis il intégre l'Ecole des beaux-arts de l'Indochine en 1940. 

En août 1945, il participe à l'insurrection générale et la même année dessine les premiers billets de banque de la République démocratique du Viêt Nam. Il rejoint la résistance par le biais du Viêt Bac. 

Partageant sa vie entre le Nord et le Sud, c'est à Ho-Chi-Minh-ville qu'il meurt en 1988 dans la solitude et le dénuement (et ce malgré son unique exposition à Hanoï en 1984), après être tombé en disgrâce pour avoir participé au mouvement " Nhàn Vàn Giai Pham ". 

Nguyên Sàng sut avec grandeur traduire les horreurs de la guerre par des tableaux comme L'ennemi brûle mon village ou Opération sous la pluie. 

Artiste méticuleux, soigneux, on dit qu'il s'appliquait assidûment à faire à la craie, ébauche après ébauche, sur le carrelage de sa chambre. 

Virtuose de la laque, il sut l'utiliser en réduisant les effets décoratifs pour tendre vers l'essentiel, privilégiant volumes et couleurs. 

Principes que l'on retrouve dans ses grandes compositions dénuées de perspective où les personnages éclatant de force malgré leur position hiératique, forcent le regard. 

Peintre prolifique, surtout entre 1953 et 1985 il ne se limite pas aux thèmes nationalistes mais aborde avec subtilité et nuances l'art du portrait. 

Son ouvre à la sensibilité exacerbée est comme portée par le souffle épique de l'histoire. Au-delà de l'engagement politique elle touche par la gravité et l'humanisme qui en émanent. 

Nguyen Tu Nghiem né en 1922 

Originaire de Nam Dan, dans la province de Nghe An, issu d'un milieu de lettrés, il fait partie de la dernière promotion de l'Ecole des beaux-arts de l'Indochine (1941-1945). 

En 1945, il prend part à la l'insurrection armée pour la prise de pouvoir de Nam Dan, puis sous l'impulsion de To Ngoc Van, il est chargé de " l'atelier de peinture de résistance " au sein du " corps culturel du Viêt Bac ". 

De 1954 à 1960, il enseigne à l'école des arts appliqués du Viêt Nam. Son ouvre est considérée comme déterminante dans l'élaboration d'un art national moderne. 

Il fut le premier à intégrer dans ses créations des éléments de la culture traditionnelle vietnamienne comme ceux de l'art de Dong-Son,des danses anciennes, des animaux cycliques. Il innove aussi en illustrant des passages du fameux roman Kim Van Kieu du poète Nguyen Du. 

De chacun de chacun de ces thèmes, il sut faire de nombreuses variations à la gouache, laque et huile. 

Grand collectionneur d'antiquité, il affectionne comme support le papier do et la laque. Son travail se veut à la fois, structuré et musical, rythmé, coloré, dans un style très percutant. Magicien des lignes, il joue entièrement avec elles, les brisant, les assemblant à loisir mais toujours dans un espace clos, fermé comme s'il retenait un élément originellement décoratif pour en faire un thème majeur. 

Tout en reconnaissant son intérêt pour le travail de Klee, de Picasso qu'il admire ou de Miro qu'il préfère, il cherche avant tout à s'affranchir de toute influence pour laisser poindre en lui, au gré de ses émotions, toute la spécificité de l'âme Vietnamienne_ Tout comme pour Phai, peindre est pour lui " une nécessité vitale, absolue ", et résulte d'un véritable accomplissement moral et spirituel. 

Il est l'un des huit peintres à avoir reçu du gouvernement en 1996, le prix Ho-Chi-Minh destiné à récompenser les grands maîtres des beaux-arts du Viêt Nam. 

LE TEMPS DU RENOUVEAU 

Après le " doi moi " instauré en 1985 et le dégel qui en découle, l'art contemporain connaît un véritable épanouissement. Pour les peintres vietnamiens, c'est tout d'abord l'occasion d'être pour la première fois exposés professionnellement. Mais c'est aussi l'espoir de pouvoir faire des expositions dans leur propre pays avec l'ouverture des nouvelles galeries. 

Actuellement des expositions collectives ou personnelles s'ouvrent pour ainsi dire tous les jours, à Hanoï comme à Hô-Chi-Minh-ville. Plusieurs locaux appartenant à des établissements publics, des associations des beaux-arts, ou des services culturels se sont transformés en salles d'exposition spécialisées ainsi que le développement de nombreuses galeries. 

Si l'Ecole du Nord avoue une esthétique plus sociale et engagée viscéralement figurative, l'Ecole du Sud se déclare plus volontiers, abstraite et matiériste : 

L'école du Nord 
Truong Tan né en 1963 

Diplômé de l'Ecole supérieure des beaux-arts de Hanoï, il travaille sur des supports très variés (papiers de riz, toile, drap) la laque et l'acrylique. 

Il cherche à réaliser son moi d'une façon simple et directe. Il se dresse face au refoulement physiologique et psychologique dû aux préjugés d'une société traditionnelle ayant gardé des mours conservatrices. 

En associant ses figures à l'écriture, il parle lui-même sans complexe et non sans hyperbole. Ses figures arborant des organes sexuels de différentes formes constituent une protestation violente et ouverte, ainsi qu'une revendication sexuelle affirmée : il se sert du graffiti pour parler de l'homosexualité. 

Dinh Y Nhi née en 1967 

Diplômée de l'Ecole des beaux-arts de Hanoï, elle est la fille du peintre Dinh Trong Khang. 

A travers la gouache et des coloris toujours identiques (noir, blanc, gris), ses compositions s'organisent autour de la figure humaine qu'elle stylise à l'extrême et répète comme à l'infini. Sorte d'étrange interrogation ou de réflexion sur la condition humaine, ses souffrances, ses dilemmes. 

L'école du Sud 
Nguyen Trung, Nguyen Thanh Trung, né en 1940 

Né dans la province de Hau Jiang, il suit les cours de l'Ecole des beaux-arts de Saïgon entre 1958 et 1963. 

Considéré comme le chef de file des peintres du Sud, il fut président de l'association de jeunes peintres de Saïgon dans les années 1970. 

Son style après être passé brièvement par le réalisme appartient au courant abstrait et utilise comme support la peinture à l'huile. Il attache une importance primordiale à la matière qu'il traite en couleurs sombres et avec beaucoup de soin, en l'imprégnant de fins tracés. 

Dao Minh Tri, né en 1950 

Né à Hanoï, diplômé de l'Ecole supérieure des beaux-arts du Viêt Nam (1971-1976), il aime varier les supports et ses techniques (huile, papier do, soie, laque). 

Son travail d'abord réaliste (inspiré de l'art des temples, des pagodes et des peintures populaires) est maintenant tout à fait abstrait, il aime faire contraster les couleurs et retirer du figuratif des éléments pour les remanier au gré de son inspiration dans de solides compositions 

Il s'est cependant engagé à présent dans des thèmes relatifs aux poissons, qu'il pare des couleurs voyantes de la laque. 

L'exposition se conclut par l'hommage rendu de quelques artistes contemporains français à l'art vietnamien d'aujourd'hui, comme Christine Jean ou Eric Leroux, partis au Viêt Nam rechercher des secrets perdus.